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Protection enfance : Nouvelle proposition de loi, Nouvelle mentalité ?

dimanche 14 décembre 2014, par Jeanne HILLION

La commission des affaires sociales du Sénat avait confié, en début d’année, à Muguette Dini et Michelle Meunier, une mission sur la protection de l’enfance afin d’étudier la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et de formuler, le cas échéant, des propositions d’amélioration du dispositif actuel.

Muguette Dini et Michelle Meunier ont déposé un projet de loi au Sénat le 23 septembre dernier visant à « améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfant ; sécuriser le parcours de l’enfant protégé ; adapter le statut de l’enfant placé sur le long terme ».

La mission dresse le constat que la loi de 2007 est globalement une bonne loi, qui a permis au système de gagner en lisibilité et en efficacité. Cependant, confrontée à l’épreuve du terrain, son déploiement se heure encore à de nombreux obstacles : fortes disparités territoriales, absence de pilotage national, insuffisance de la formation des professionnels concernés, manque de coopération entre les secteurs d’intervention, retard dans le développement de la prévention, prévalence du maintien du lien familial biologique à tout prix dans les pratiques professionnelles... Elle est en outre insuffisamment dotée pour répondre à l’enjeu de plus en plus prégnant de la stabilisation des parcours des enfants protégés.

Cet état des lieux plaide non pas pour une remise à plat complète du dispositif, mais pour des ajustements et des évolutions répondant à trois objectifs : améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance ; rendre le système plus efficace à tous les stades (prévention, repérage, prise en charge) ; sécuriser le parcours de l’enfant protégé.

Par la cinquantaine de propositions qu’elle formule, la mission entend recentrer la protection de l’enfance sur l’enfant afin de garantir la primauté de son intérêt supérieur.

Extrait de leur rapport cet incroyable positionnement attendu depuis la nuit des temps et qui pourrait enfin libérer les enfants du joug de parents maltraitants :

Bien que la notion d’intérêt supérieur de l’enfant irrigue désormais tout le droit de la protection de l’enfance, les nombreuses auditions menées par vos rapporteures ont montré que le système français reste profondément marqué par une idéologie familialiste, qui donne le primat au maintien du lien avec les parents biologiques

Cette conception, que certains professionnels n’hésitent pas à qualifier de dogme, s’exprime d’abord à travers les représentations sociologiques de la famille. En France, il est très difficile d’envisager un aménagement voire une rupture du lien familial biologique. Preuve en est, par exemple, l’injonction qui est souvent faite aux assistants familiaux de ne pas s’attacher aux enfants qu’ils accueillent. Or, certaines situations nécessitent assurément de libérer les enfants de la tutelle de leurs parents, lorsque celle-ci ne peut plus s’exercer dans des conditions raisonnables, est néfaste, ou ne repose sur aucun lien affectif durable.

L’idéologie familialiste imprègne ensuite les pratiques sociales. Par leur formation, les travailleurs sociaux attachent beaucoup d’importance à l’adhésion des parents, à leur accompagnement et à leurs facultés de progression. Bien sûr, cette démarche est parfaitement louable et doit être mise en œuvre dans la majorité des situations. Mais dans certains cas, les plus difficiles (délaissement, maltraitance), elle peut être préjudiciable à l’enfant en retardant la prise de décisions, qui seraient pourtant bénéfiques à son développement (l’éloignement, par exemple).

Le dogme du lien familial perdure également au sein de l’institution judiciaire. Les condamnations de parents maltraitants (hormis les meurtres et l’inceste) sont généralement d’une moindre sévérité que si les actes incriminés avaient été perpétrés par un étranger à la famille. En outre, il est assez rare que le retrait de l’autorité parentale soit prononcé. Par exemple, un père ayant violenté la mère de ses enfants peut conserver l’autorité parentale sur ceux-ci ; un père abuseur recouvre parfois son autorité parentale au terme de sa peine.

Enfin, même la loi n’est pas exempte de référence à cette idéologie puisque la protection administrative qui, depuis 2007, prime sur la protection judiciaire, doit chercher à obtenir l’adhésion des parents, ceci parfois au risque d’un allongement des procédures préjudiciable à l’enfant. Pour autant, il serait exagéré de parler de la loi de 2007 comme d’un texte familialiste ; ce sont davantage les mentalités et les pratiques professionnelles qui restent imprégnées par « le maintien du lien familial à tout prix ».

Au final, les rapporteures estiment fondamental que l’intérêt supérieur de l’enfant soit replacé au cœur du dispositif de protection de l’enfance . Ainsi que l’a expliqué très justement, lors de son audition, le docteur Daniel Rousseau, pédopsychiatre, « en protection de l’enfance, le principe de précaution devrait toujours bénéficier en priorité à l’enfant et non aux parents comme cela est encore trop souvent le cas »