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En France, un enfant tous les 5 jours meurt sous les coups de ses proches

samedi 27 avril 2019, par Jeanne HILLION

L’inspection Générale des affaires sociales (IGAS), L’inspection Générale de la justice (IGJ) et L’inspection Générale de l’éducation (IGAENR) ont travaillé ensemble pour produire une étude qui dévoile des chiffres affolants : 363 meurtres d’enfants commis « en milieu intrafamilial » entre 2012 et 2016

Mission sur les morts violentes d’enfants au sein des familles – Evaluation du fonctionnement des services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance

C.Compagnon et N.Durand (IGAS) – B.del Volgo, F.Neymarc et I.Poinso (IGJ) – F.Thomas et E.Liouville (IGAENR)

Prévu par le plan interministériel 2017-2019 de lutte contre les violences faites aux enfants, le rapport des trois inspections générales (IGAS, IGJ, IGAENR) effectue un recensement des décès d’enfants survenus dans la sphère familiale et analyse de façon approfondie les circonstances et enchaînements ayant conduit à ces décès.

Sur les cinq années étudiées (de 2012 à 2016), le rapport établit qu’un
enfant décède tous les cinq jours des mauvais traitements de ses parents ; ces jeunes victimes ont, pour la moitié d’entre elles, moins d’un an.

Sur la base d’une analyse approfondie de 50 cas de décès, notamment des conditions de suivi des familles par les services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance, les inspecteurs en charge de cette mission, ont formulé des recommandations concrètes destinées à :

- mieux repérer, évaluer et prévenir les situations pouvant engendrer un danger pour l’enfant ;

- mieux organiser les interventions dans le cadre d’un partenariat plus suivi entre les services compétents ;

- développer la formation des professionnels concernés et favoriser la construction d’une culture commune.

Lire le rapport

Détail des recommandations :

Mieux repérer
Encore très fragiles et dépourvus de l’expression orale, les enfants de moins d’un an sont les plus vulnérables. Quand ils sont victimes de violence, l’examen du corps ne permet pas toujours de déceler la maltraitance, notamment en présence du syndrome du bébé secoué. En cas de décès, pour identifier les causes de la mort de ces enfants, écarter tout doute de maltraitance et protéger les autres enfants d’un même foyer, l’autopsie médico-légale de l’enfant de moins d’un an doit être rendue systématique hors les cas de mort naturelle évidente ou survenue à l’occasion d’un accident de la circulation.

Recommandation n° 1. Rendre systématique l’autopsie médico-légale de tous les enfants décédés de moins d’un an, hors les cas de mort naturelle évidente ou survenue à l’occasion d’un accident de la circulation.

Le carnet de santé est un outil informatif pour le repérage ciblé de la négligence de soins. L’état de vulnérabilité des mineurs, notamment du fait d’un nomadisme médical, impose de suivre leur parcours médical afin de permettre un plus grand accès aux données de santé et être en mesure de repérer la maltraitance. Le ministère des solidarités et de la santé a publié les nouveaux modèles du carnet et des certificats de santé de l’enfant entrés en vigueur le 1er avril 2018. La mission recommande d’aller au-delà et de mettre rapidement en place un carnet de santé numérique du mineur accessible aux médecins et autres personnels de santé habilités afin de rendre disponible les parcours médicaux des enfants.
Recommandation n° 2.
Mettre en place un carnet de santé numérique du mineur accessible aux médecins et autres personnels de santé habilités. En cas de suspicions de maltraitance d’un enfant scolarisé, celui-ci doit pouvoir être examiné en urgence à la demande de l’établissement par le médecin scolaire. Dès lors que cet acte est effectué dans l’intérêt supérieur de l’enfant et que les parents peuvent être à l’origine de la maltraitance, un examen médical complet –l’enfant étant dévêtu–doit pouvoir se dérouler sans l’accord des parents, hors leur présence et sans obligation de les informer préalablement.
Recommandation n° 3.
Rappeler qu’en cas de suspicion de maltraitance, les médecins scolaires peuvent examiner l’élève sans l’accord des parents, hors leur présence et sans obligation de les informer, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant.

3.3.Mieux évaluer

Les situations de décès d’enfants dans leur milieu familial restent suffisamment nombreuses et dramatiques pour envisager de systématiser dans les départements à l’initiative des conseils départementaux des commissions réunissant des experts, qui, à la suite de ces homicides ou de décès suspects de mineurs, analyseront l’ensemble du dossier, à l’instar des « child death review teams » mis en œuvre en Grande-Bretagne. Ces équipes analysent ce qu’il s’est passé, ce qui aurait pu être fait différemment et comment les situations similaires peuvent être identifiées et prévenues.

Recommandation n°4.

Systématiser dans tous les départements la mise en place d’une commission d’experts à la suite d’un homicide d’un mineur au sein des familles.Les enseignants et les responsables d’établissements et écoles sont de plus en plus confrontés à la complexité des problématiques sociales des familles (précarité, addiction, troubles du comportement, violences conjugales, etc.) et à la vulnérabilité des enfants dès le début de leur parcours scolaire. Dans le primaire, en l’absence d’assistant de service social (ASS), nombre d’entre eux se sentent démunis devant ces situations qui peuvent nécessiter des analyses et des prises de décision parfois rapides pour assurer la protection de l’enfant. Pour répondre à ces besoins, conformément à la circulaire n°2017-055 du 22 mars 2017 du ministère de l’éducation nationale relative aux missions du service social en faveur des élèves, les recteurs peuvent, en fonction des moyens alloués, élargir au premier degré le champ d’intervention des ASS limité aux établissements du second degré. Les personnels sociaux ont ainsi la possibilité d’intervenir dans les écoles, sous forme de conseil social ou d’intervention sociale, mais seulement dans les écoles du réseau d’éducation prioritaire au REP + prioritairement au cycle 3. Il conviendrait de l’étendre à toutes les écoles.

Recommandation n°5.

Étendre à l’ensemble des écoles du premier degré les actions de conseil et de prévention des assistants de service social dans le domaine de la protection de l’enfance, notamment un soutien technique aux enseignants, aux directeurs d’école et aux inspecteurs de l’éducation nationale et des actions collectives destinées aux enfants et aux familles, avec les conseillers techniques de service social coordonnateurs de bassins et les partenaires de l’école. La loi sur la protection de l’enfance de 2016 a prévu que l’évaluation de la situation de mineurs à partir d’une information préoccupante soit réalisée par une équipe pluridisciplinaire car les « regards croisés » des professionnels, dont les formations et les services sont différents, conduisent souvent à enrichir et à améliorer la qualité de l’évaluation des situations d’enfants souvent complexes. Son décret d’application n°2016-1476 du 28octobre2016, signé seulement par le Premier ministre et la ministre chargée de l’enfance, a détaillé les conditions de la mise en œuvre de cette évaluation, notamment l’association des professionnels des conseils départementaux et des professionnels des autres administrations, en particulier des services de la promotion de la santé et le service social en faveur des élèves qui peuvent réaliser en cas de besoin l’évaluation ou y participer. La mise en œuvre de ce dispositif intéressant semble toutefois susciter quelques difficultés nécessitant notamment des ajustements entre les administrations et le développement d’un outil commun.

Recommandation n°6.

Clarifier le rôle des professionnels des différents services médico-sociaux participant à l’évaluation pluridisciplinaire et développer l’utilisation d’un référentiel commun pour harmoniser et fiabiliser les conclusions de l’évaluation des situations.La présence d’intervenants sociaux dans les locaux de police et de gendarmerie,qui améliore l’accueil des victimes, notamment dans le cadre de violences conjugales, ainsi que leurs conditions d’accès aux services sociaux, permet également une première évaluation sociale des situations familiales concomitante aux investigations pénales. Elle facilite le lien avec les services sociaux du département et favorise le repérage du risque de danger encouru par les enfants. Ce dispositif doit être développé sur l’ensemble du territoire national.

Recommandation n°7.

Développer les emplois d’intervenants sociaux dans les services d’enquête pour recevoir les victimes et évaluer les situations familiales concomitamment aux investigations afin de favoriser le repérage du risque de danger encouru par les enfants. Faire la synthèse de la situation d’une famille, apprécier le degré de dangerosité d’un parent, décider du retrait d’un enfant peut se révéler d’une grande complexité. En matière d’assistance éducative, le juge des enfants exerce en juge unique sans qu’il soit prévu qu’il puisse bénéficier de l’avis de ses pairs. La désignation, dans les dossiers d’assistance éducative complexes, de deux ou trois juges, peut représenter une garantie supplémentaire à la protection de l’enfant.

Recommandation n°8.

Envisager, pour les dossiers d’assistance éducative complexes, la co-saisine de deux ou trois juges des enfants, suivant des modalités à définir en fonction de la taille de chaque juridiction, qui pourrait intervenir à la demande du ministère public ou du juge des enfants désigné, au moment de sa saisine ou ultérieurement.

3.4.Mieux prévenir-l’absentéisme scolaire, qui constitue un facteur de risques important en matière de protection de l’enfance, est parfois insuffisamment pris en considération dans les écoles maternelles, d’une part par les familles qui ne prennent pas conscience de l’obligation légale d’assiduité applicable à l’ensemble des élèves, quel que soit leur niveau de scolarité, et d’autre part par l’institution qui a tendance à se montrer indulgente vis-à-vis de ces parents d’enfants de très jeune âge.Il est donc indispensable de renforcer la prévention de cet absentéisme, d’autant que l’’abaissement à trois ans de la scolarité obligatoire a été annoncé récemment par le gouvernement.

Recommandation n°9.

Renforcer la prévention de l’absentéisme scolaire en classe maternelle en rappelant aux familles l’obligation d’assiduité scolaire et les mesures applicables en cas d’absences non légitimes dans le règlement intérieur et en développant un suivi spécifique de cet absentéisme avec les partenaires institutionnels. Dans le cadre de séparations conjugales conflictuelles, le JAF peut ordonner un droit de visite médiatisé entre parent et enfant dans un espace de rencontre. Certains de ces espaces ne réalisent pas de comptes rendus , ce qui peut nuire à la sécurité des enfants. Le juge doit pouvoir, dans ces situations, demander à être informé des conditions de déroulement des visites afin d’en aviser le parquet et,le cas échéant,de se saisir d’office d’une instance modificative en application de l’article 1180-5 du code de procédure civile.

Recommandation n°10.

Prévoir une disposition permettant au juge aux affaires familiales de solliciter, lorsqu’il ordonne un droit de visite médiatisé dans le cas de suspicions de violence sur les enfants, un compte rendu du déroulement des visites entre parents et enfants pour les structures de type espaces de rencontre.
L’examen par la mission du déroulement des mesures ordonnées pour les auteurs de violences intrafamiliales au titre d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’un placement sous bracelet électronique a mis en relief la nécessité d’un suivi de proximité des personnes condamnées en contact avec des jeunes enfants.

Recommandation n° 11.

Inciter les conseillers d’insertion et de probation à procéder à des visites à domicile lorsque la personne condamnée est en contact avec de jeunes enfants, en cas de suivi dans le cadre d’une mise à l’épreuve pour des faits de violence intrafamiliales. Les obligations de soins découlant d’une condamnation doivent être adaptées à l’état des personnes. En cas de condamnation d’un parent dépendant à l’alcool ou aux stupéfiants pour des violences intrafamiliales, le suivi par un médecin généraliste n’est pas suffisant pour éviter tout autre comportement de même nature. Compte tenu des risques encourus par les enfants à leur contact, ce suivi doit être confié à des professionnels spécialisés dans le traitement de la violence et des addictions.

Recommandation n° 12.

Favoriser, au titre des obligations de soins du sursis avec mise à l’épreuve, le suivi, dès la mise en œuvre de la mesure, de la personne condamnée pour des violences intrafamiliales par des professionnels spécialisés dans la prise en charge de la violence, des psychologues ou des addictologues. L’étude réalisée par la mission a montré les conséquences dramatiques de la maltraitance des enfants : en moyenne, un enfant est tué par ses parents tous les cinq jours. La sensibilisation du public et les campagnes médiatiques jouent un rôle important dans le changement des normes sociales et culturelles.

Recommandation n° 13.

Amplifier les dispositifs de communication sur la place des enfants dans la société et les conséquences dramatiques, voire fatales, de la violence intrafamiliale. La maltraitance des enfants trouve souvent son origine dans une accumulation de facteurs de risque, tels que les troubles psychiques ou de la personnalité la pauvreté, les addictions, les violences conjugales, le chômage, les problèmes relationnels, l’isolement, les antécédents personnels de maltraitance, un déficit d’aptitudes cognitives ou pédagogiques chez les parents. Jusqu’à présent, la prise en charge de la maltraitance infantile n’a pas accordé suffisamment d’attention spécifique aux parents présentant de multiples facteurs de risque et notamment aux pères. Pourtant, une politique de prévention efficace passe par l’identification des familles vulnérables et la mise en œuvre d’interventions adaptées, notamment en périnatal.

Recommandation n° 14.

Accompagner de manière renforcée les parents connus pour leur vulnérabilité durant les périodes cruciales comme la grossesse, l’accouchement et le début de la parentalité, avec le repérage systématique des facteurs de vulnérabilité somatique, sociale, psychoaffective, et leur orientation vers les structures de soutien parents-bébé existantes ou à créer (PMI, CAMSP, CMPP, CMP et services sociaux) et permettre ainsi de réduire les risques. La grossesse non désirée a été rattachée aux soins prénataux insuffisants, au poids insuffisant à la naissance, au risque de mortalité infantile accru, à la maltraitance des enfants et aux carences en matière de développement des enfants. Des efforts pour réduire le nombre de grossesses non désirées pourraient contribuer à réduire la maltraitance d’enfants.

Recommandation n° 15.

Lancer une campagne sur les différents modes de contraception et mieux accompagner les femmes sur la question de la contraception en privilégiant les femmes vulnérables.

3.5.Mieux organiser

Au vu de ses constats, la mission considère qu’il est nécessaire de mettre en place des protocoles d’actions qui décriraient clairement les démarches à entreprendre et les personnes ressources sur un territoire donné chaque fois qu’une suspicion se fait jour dans les services hospitaliers amenés à recevoir des enfants.

Recommandation n°16.

Systématiser,dans les établissements de santé amenés à recevoir des enfants en consultation et en hospitalisation,des protocoles décrivant précisément les démarches à suivre en cas de suspicion de maltraitance pour effectuer un signalement et identifier les personnes ressources sur un territoire donné. Des modes de spécialisation ont été organisés au niveau des services d’enquête de police et de gendarmerie pour améliorer le traitement des violences intrafamiliales.
Néanmoins, les procédures de violences conjugales, qui constituent un contentieux de masse, restent souvent traitées par des services généralistes, moins sensibilisés aux dangers encourus par les enfants. Il convient de favoriser le traitement des violences conjugales par des services spécialisés et d’organiser la centralisation des informations obtenues en matière de suspicions de violences conjugales et, plus largement, intrafamiliales afin d’en assurer leur exploitation.

Recommandation n°17.

Favoriser le traitement des violences conjugales par des services d’enquête spécialisés et organiser la centralisation des informations en matière de suspicions de violences intrafamiliales afin d’en améliorer leur exploitation.En raison des liens étroits entre les violences faites aux enfants et les violences conjugales, le parquet doit, conformément aux orientations de politique pénale, prendre systématiquement en compte les violences conjugales dans l’analyse du risque de danger encouru par l’enfant auprès de ses parents, afin d’assurer sa protection. Il revient donc aux procureurs généraux et procureurs de la République de sensibiliser les magistrats à cet objectif et d’adapter en conséquence l’organisation des services.

Recommandation n°18.

Sensibiliser plus encore les magistrats du parquet au lien entre violences conjugales et risque de danger encouru par l’enfant et prendre en compte cet objectif dans l’organisation des services. Les dossiers analysés par la mission ont fait apparaître un traitement souvent cloisonné des procédures concernant une même situation entre le JAF et le JE. Lorsqu’il statue sur l’autorité parentale, le JAF vérifie si une procédure d’assistance éducative est ouverte à l’égard des mineurs et, si tel est le cas, transmet au JE une copie de sa décision. Malgré les textes prévoyant ces échanges, les informations ne circulent pas toujours aisément entre ces magistrats qui sont parfois amenés à s’en remettre aux parents pour vérifier l’existence des procédures. Il convient donc de faciliter la transmission des informations entre eux.

Recommandation n°19.

Généraliser l’accès pour le juge aux affaires familiales et le juge des enfants aux informations sur les procédures en cours relatives aux familles par le biais des applications informatiques dont chacun dispose. Parmi les dossiers étudiés par la mission, des enfants ont été tués par un parent souffrant de graves troubles du comportement alors qu’une procédure de séparation conflictuelle était en cours.

Quand une expertise médico-psychologique ou psychiatrique est ordonnée, le rapport est susceptible de contenir des éléments d’évaluation de l’équilibre des personnes. Lorsqu’il est adressé directement aux parties, ce rapport peut déclencher une réaction violente. Pour éviter de telles situations, le mode de notification des rapports doit être encadré par le juge.

Recommandation n° 20.

Envisager une disposition prévoyant que les rapports d’expertises médico-psychologique ou psychiatrique sur la situation et la personnalité des parents soient communiqués au juge aux affaires familiales et que leur notification soit réalisée par le juge ou l’avocat comme c’est le cas pour les mesures d’enquêtes sociales. Dans le domaine de la protection de l’enfance, la coopération entre les services du conseil départemental (aide sociale à l’enfance, protection maternelle et infantile, services d’action sociale) et ceux de l’éducation nationale (écoles, établissements publics locaux d’enseignement) contribue à améliorer l’accompagnement des familles et des enfants au plan social et médico-social ainsi que le repérage et l’évaluation de situations de danger pour l’enfant. Or, à l’échelle des territoires, les relations entre ces services sont très inégales, voire inexistantes, dans certains départements : ainsi, les personnels de l’éducation nationale qui se sentent démunis face à une situation familiale et sociale complexe ne connaissent pas toujours, au sein du conseil départemental, un interlocuteur auquel ils pourraient s’adresser. Il apparaît donc nécessaire de nommer, au sein des services territoriaux du conseil départemental, un référent social qui pourra assurer ce travail indispensable de liaison avec les écoles et les établissements d’enseignement.

Recommandation n° 21.

Prévoir, dans le protocole entre le conseil départemental et la direction des services départementaux de l’éducation nationale, la désignation d’un référent social pour chaque école et établissement au sein des services du conseil départemental, afin de favoriser les échanges et la circulation d’informations ainsi que les actions d’accompagnement des familles en fonction des besoins repérés. L’absence de prise en charge d’un enfant ou sa rupture malgré la décision de justice l’ordonnant lui fait courir des risques importants. Les mesures décidées par le JE doivent intervenir sans délai et ne pas dépendre des contraintes de disponibilité des services.

Recommandation n° 22.

Créer, au niveau du conseil départemental, un dispositif de régulation des mesures ordonnées par le juge des enfants pour éviter tout délai anormalement long entre sa décision et la mise en œuvre des mesures. En ce qui concerne les mesures d’investigations, systématiser l’aide à la régulation du dispositif par le directeur départemental de la protection judiciaire de la jeunesse, à charge pour ce dernier de communiquer à échéance régulière aux tribunaux pour enfants l’état de disponibilité des différents services du ressort. Les modalités de suivi et d’archivage des informations préoccupantes et des signalements, qui sont élaborés par les personnels de l’éducation nationale (enseignants, directeurs d’école, chefs d’établissement, personnels de santé, assistants sociaux), ne s’inscrivent pas dans un cadre défini. Les pratiques diffèrent selon les personnels et selon les établissements. Il arrive toutefois qu’en raison des règles juridiques liées au traitement des données personnelles des élèves et de leur famille, l’absence de communication des informations sur un enfant maltraité lors du changement de direction de l’établissement, du passage de l’école au collège ou du collège au lycée ou du déménagement de la famille ne permet pas aux personnels de jouer le rôle qui est le leur en matière de protection de l’enfance.

Recommandation n°23.

Mettre en place, au sein du ministère de l’éducation nationale, en concertation avec la commission nationale de l’informatique et des libertés, une réflexion sur les modalités d’archivage et de transmission des informations préoccupantes et des signalements par les responsables des établissements scolaires, qui s’inscriraient dans un cadre commun permettant d’assurer une communication entre les établissements, dans le respect des principes de confidentialité et du droit à l’oubli.

3.6.Mieux piloter

La peur du signalement abusif est un obstacle majeur au signalement par les professionnels de santé. Dans sa recommandation, accompagnée d’une fiche mémo pour les professionnels et d’un document interactif récapitulant les procédures à suivre et les contacts utiles, la Haute autorité de santé a en 2015 rappelé que le médecin n’a pas à « être certain de la maltraitance ni à en apporter la preuve pour alerter l’autorité compétente »mais qu’il « doit fonder sa suspicion sur un faisceau d’arguments ». Par ailleurs, pour tenir compte de ces préconisations,les schémas régionaux d’organisation sanitaire ont pour mission de définir les modalités de la réponse que les établissements de santé doivent apporter en matière de maltraitance. Les agences régionales de santé doivent veiller à la mise en œuvre des moyens de repérage et de prise en charge des enfants et adolescents victimes de maltraitance dans les établissements de santé et auprès des professionnels libéraux.

Recommandation n°24.

Les agences régionales de santé doivent veiller à la conformité des organisations sanitaires en matière de repérage, de signalement et de prise en charge des enfants victimes de maltraitance. À cette fin, elles devront en faire un axe précis des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens.Au niveau départemental, la protection de l’enfance, qui relève de la compétence du conseil départemental, donne lieu à divers documents élaborés dans le cadre d’une démarche partenariale, dont le nombre, l’objet, le périmètre ou les signataires diffèrent : schéma départemental pluriannuel de protection et de la protection de l’enfance, chartes ou protocoles.
Toutefois, malgré le cadrage instauré par les dernières lois relatives à la protection de l’enfance, la politique menée localement manque parfois de lisibilité ou d’une insuffisante coordination entre certains services : les objectifs de décloisonnement ne semblent pas atteints,faute de volonté affichée par les acteurs et de modalités d’organisation définies entre les partenaires. Il convient d’y remédier.

Recommandation n°25.

Améliorer la cohérence entre les différents protocoles élaborés avec les partenaires institutionnels afin de rendre plus lisible la politique de protection de l’enfance,qui relève du conseil départemental,et structurer davantage la coordination entre ces partenaires, notamment par l’animation du travail en réseau, la mise en place d’instances de coordination,l’organisation de rencontres institutionnelles régulières à tous les niveaux et le suivi des engagements pris par chaque partenaire. Les inspecteurs de l’éducation nationale chargés d’une circonscription du premier degré (IEN-CCPD), interviennent en matière de protection de l’enfance. Ils sont les interlocuteurs des directeurs et professeurs des écoles, qu’ils sont amenés à accompagner et aider lors de la rédaction des informations préoccupantes et des signalements (pour lesquels ils sont attributaires ou mis en copie). Ils sont également les interlocuteurs des services départementaux, avec lesquels ils travaillent de façon plus ou moins étroite.
Ce rôle mérite toutefois d’être mieux affirmé et étendu. Si la protection de l’enfance ne relève pas directement de leurs missions réglementaires, les IEN-CCPD, en raison de leur bonne connaissance du terrain et de leur rôle d’interface entre l’école et les familles et les collectivités locales, peuvent intervenir davantage. Leurs actions doivent s’inscrire auprès des différents services locaux concernés par la protection de l’enfance, dont la culture et les pratiques diffèrent souvent de celles de l’éducation nationale (sur ce point, on peut se référer aux bonnes pratiques de certains IEN qui ont noué des contacts avec les directeurs de territoires de vie sociale des conseils départementaux afin de répertorier les services et agents pouvant être contactés et de mener des actions conjointes), et auprès des personnels des écoles qu’il convient de sensibiliser, de rassurer et de protéger.

Recommandation n° 26.

Mieux affirmer le rôle des inspecteurs de l’éducation nationale dans le pilotage du dispositif de la protection de l’enfance à l’échelle de la circonscription : mieux accompagner les personnels dans les démarches de signalement (notamment, en assurant éventuellement eux-mêmes la responsabilité de la signature des documents correspondants) et faciliter la communication au sein de l’institution, à chaque niveau d’enseignement en lien avec les crèches et les centres de loisir, et entre les différentes structures concernées par l’enfance.Toutes les morts violentes d’enfants en milieu intrafamilial sont portées à la connaissance des juridictions qui les traitent et en conservent la trace jusqu’à leur dénouement judicaire mais les parquets généraux et l’administration centrale n’en ont pas systématiquement connaissance. Le signalement de ces affaires au parquet général et à la direction générale des affaires criminelles et des grâces permettrait de contribuer à leur recensement et d’en tirer les enseignements pour améliorer les dispositifs de protection de l’enfance.

Recommandation n° 27.

Mettre en place un dispositif de remontée d’informations en cas de morts violentes d’enfants en milieu intrafamilial entre les procureurs de la République, les procureurs généraux et la direction générale des affaires criminelles et des grâces aux fins de recensement. Le plan interministériel 2017-2019 de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants a prévu d’organiser le recensement et la publication du nombre d’enfants tués à la suite des violences. Dans cette perspective, les ministres concernés devront se doter d’outils statistiques adaptés qui leur permettront de transmettre leurs données à l’Observatoire national de la protection de l’enfance.

Recommandation n° 28.

Développer, dans chaque ministère concerné, des outils statistiques afin de répondre à la mission confiée à l’Observatoire national de la protection de l’enfance de recensement des morts violentes d’enfants ainsi que de mise en cohérence et de publication des données.

3.7.Mieux former et sensibiliser

À travers les référentiels de compétences des métiers du professorat et de l’éducation ou des métiers de directeur d’école, les formations adaptées aux fonctions et aux responsabilités de chacun, comme les formations statutaires et d’adaptation à l’emploi des personnels d’encadrement pédagogique, ou les guides spécifiques de procédures disponibles sur Internet, les personnels de l’éducation nationale (enseignants, conseillers principaux d’éducation, inspecteurs, personnels de direction, directeurs d’école) sont généralement sensibilisés aux enjeux de la protection de l’enfance. Les auditions des professionnels rencontrés font toutefois apparaître une insuffisance de formation de ces personnels pour mieux appréhender et intervenir dans les situations de maltraitance
76particulièrement complexes (repérage des signaux d’alerte, recueil de la parole de l’enfant, gestion des émotions, évaluation de la situation, maîtrise des procédures, rédaction des signalements et informations préoccupantes, responsabilités, etc. ).

Recommandation n°29.

Intégrer systématiquement un module de formation spécifiquement dédié au dispositif de la protection de l’enfance dans la formation initiale des écoles supérieures de professorat et d’éducation et les formations statutaires et d’adaptation et développer les formations continues de tous les personnels de l’éducation nationale.Il est essentiel de mettre en œuvre la détection précoce des cas de maltraitance d’enfants, en particulier pour les plus jeunes d’entre eux. Cela nécessite de la part des médecins et des professionnels de santé une meilleure connaissance des symptômes de la maltraitance et du dispositif de la protection de l’enfance.

Recommandation n°30.

Développer la capacité des professionnels de santé de première ligne à détecter les cas de maltraitance d’enfants de moins de cinq ans en formant en particulier les pédiatres, les psychiatres, les médecins des services d’urgence et les infirmières à l’utilisation des outils de repérage.Dans la majorité des cas étudiés, les enfants morts de violences physiques faisaient l’objet d’un suivi médical plus ou moins régulier. Pour les professionnels de santé en ville, les situations de maltraitance sont particulièrement difficiles et complexes à diagnostiquer,d’autant plus qu’ils sont souvent dans une relation de proximité avec leur patientèle (ils craignent en effet de compromettre la relation patient-famille-professionnel de santé ou de faire l’objet de poursuite) et qu’ils sont peu formés pour reconnaître ou identifier les signaux d’alerte, les situations à risques ou les cas de maltraitance.

Recommandation n°31.

Intégrer systématiquement dans la formation initiale des professionnels de santé un module spécifique à la protection de l’enfance permettant d’identifier les facteurs de risque et d’évaluer les situations complexes.Si les lois de 2007 et 2016 relatives à la protection de l’enfance ont contribué à favoriser la coopération entre les différents acteurs institutionnels concernés, le cloisonnement encore ancré entre les services rend difficile l’émergence d’« une culture commune ». En 2007, l’article L.542-1 du code de l’éducation a prévu la mise en place d’une formation spécifique pour tous les personnels chargés de la protection de l’enfance (les médecins, les personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les personnels enseignants, les personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs et les personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale). Or, comme l’a constaté le rapport de l’IGAS et de l’IGSJ sur la gouvernance de la protection de l’enfance de 2014152, les formations détaillées par l’article D.542-1 du même code, en particulier les sessions partagées, sont peu nombreuses, même si des séances d’information sont ponctuellement proposées. Les raisons en sont diverses, notamment les difficultés financières et l’absence de chef de file.
Il paraît donc utile d’inscrire dans les conventions institutionnelles sur la protection de l’enfance les formations pluri-institutionnelles, qui constituent un exemple d’échanges et de mutualisation de pratiques professionnelles.

Recommandation n° 32.

Afin de favoriser la création d’une culture commune entre les administrations concernées, prévoir systématiquement dans les protocoles départementaux et locaux sur la protection de l’enfance des formations pluri-institutionnelles, ouvertes également aux personnels des crèches, qui définiront leur cadre et leurs modes d’organisation, de financement et d’évaluation sous la coordination du président du conseil départemental.

Claire COMPAGNON
Béatrice DEL VOLGO
Frédéric THOMAS
Nicolas DURAND
Françoise NEYMARC
Évelyne LIOUVILLE