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l’envers de la fraude

mardi 7 novembre 2017, par Jeanne HILLION

le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), regroupant 96 médias de 67 pays, a dévoilé les Paradise Papers. Selon ce regroupement de journalistes du monde entier :
Proches de Donald Trump ou de Justin Trudeau, Nike ou jusqu’à la reine d’Angleterre, le scandale concernerait 350 milliards d’euros soustraits chaque année à la fiscalité des États :

120 pour l’Union européenne et 20 pour le manque à gagner fiscal de la seule France.

20 milliards ! alors que d’aucuns lancent des cris d’orfraie à la pensée d’instituer un
revenu inconditionnel (ou de salaire universel).
Le revenu de base coûte-il trop cher ?

Si l’on considère le budget brut de la mesure, le revenu universel représente effectivement une somme importante. Prenons l’exemple d’un revenu de base au niveau du Revenu de Solidarité Active (RSA), soit 465 € par mois par adulte.

Supposons que ce revenu universel remplace trois prestations : le RSA socle, la toute nouvelle prime d’activité remplaçant l’ancien RSA activité depuis le 1er janvier 2016 et les bourses étudiantes. Pour simplifier la réflexion sur le budget, on fait aussi l’hypothèse ad hoc que le revenu de base se déduit des prestations que sont l’allocation adulte handicapé (AAH), le minimum vieillesse, les allocations chômage et les pensions de retraite, de sorte que les transferts totaux touchés par ces derniers ne changent pas. Le revenu universel ferait alors augmenter la dépense publique de 179 milliards d’euros, soit 8,4% du PIB.

J’encourage vivement les internautes à clarifier les 2 scandales de l’hyperrichesse et de l’hyperpauvreté, qui se téléscopent, en lisant le livre de Odenore, joli nom qui cache l’Observatoire des non-recours aux droits et services :

L’envers de la « fraude sociale »
Le scandale du non-recours aux droits sociaux


Compte rendu de Benoit Ladouceur
Publié le 09 novembre 2012

1« Qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage ». Le parallèle entre les discours remettant en cause l’État-providence et ceux pointant ses dysfonctionnements à commencer par les fraudes dont il pâtit n’est certainement pas anodin. Les attaques répétées et croissantes contre les « profiteurs » de la générosité de notre système de protection sociale s’inscrivent en effet dans un contexte de remise en cause plus générale de son fonctionnement. Or il existe, selon les auteurs réunis dans le collectif Odenore, un scandale d’une ampleur bien plus criante, celui du non-recours aux droits sociaux de personnes qui pourraient et devraient en bénéficier. C’est de ce scandale dont rend compte L’envers de la « fraude sociale » écrit l’Observatoire DEs NOn-REcours aux droits et services. Celui-ci a été créé en 2003 par Philippe Warin et Catherine Chauveaud et est rattaché au laboratoire CNRS PACTE. Son objectif est d’évaluer l’ampleur du non-recours aux droits sociaux pour en comprendre les raisons et rendre notre système de protection sociale plus juste et égalitaire. La fraude et le non-recours sont deux phénomènes mal pris en compte et c’est pour sortir de cette approximation et des discours démagogues que cet observatoire est né. L’ouvrage L’envers de la « fraude sociale » est une bonne introduction à ce « chantier nouveau ». Il comprend neuf contributions dont sept traitent du non-recours à un dispositif de protection sociale en particulier (CMU, RSA, etc.). L’originalité et la nouveauté d’un tel travail impliquent d’obtenir des données sur un non-phénomène, puisqu’il s’agit d’enquêter sur des individus qui par définition « manquent à l’appel ».

1 Georg Simmel, Les Pauvres, P.U.F., 1998.

2Thibault Gajdos et Philippe Warin montrent que contrairement aux discours véhiculés dans les médias, la fraude au système de protection sociale est bien moins importante que ne l’est le non-recours aux droits sociaux. En 2011, d’après un rapport des comptes de la Sécurité Sociale, la « fraude sociale » s’élève à environ 20 milliards contre 15 à 16 milliards de « fraude aux prélèvements » et 3 à 4 milliards de « fraude aux prestations sociales ». Ces deux contributeurs rappellent au passage que la fraude fiscale représente 25 milliards par an, soit un chiffre six fois plus élevé que celui de la fraude aux prestations sociales. Un montant à opposer aux 5,3 milliards de non-recours au RSA et aux 4,7 milliards allocations non versées par la CAF. Comment expliquer de tels montants ? Les auteurs mettent en avant les pressions administratives ou le manque d’information à destination des ayants droits. Mais il faut aussi compter avec la pression sociale et la stigmatisation dont souffrent les bénéficiaires de revenus sociaux. On pense ici aux travaux de Simmel sur l’importance des mécanismes d’assistance dans la définition de la pauvreté1. Pour Thibault Gajdos et Philippe Warin, les discours sur la fraude, largement relayés et même initiés par les médias de masse, ont un effet direct sur le non-recours en culpabilisant les ayants-droits potentiels. Avoir recours à l’assistance c’est en effet prêter le flanc aux suspicions de tricherie, d’abus ou d’un manque de volonté pour s’en sortir seul.

3Les 5,3 milliards non versés pour non-recours au RSA s’expliquent par un taux de non-recours particulièrement élevé de ses ayants droits. Nadia Okbani et Philippe Warin s’appuient sur une enquête réalisée par la DARES en 2011. Même si la nouveauté de cette prestation peut expliquer une partie du non-recours, il reste une large marge de progression puisqu’en moyenne 50 % des ayants droits au RSA ne le percevaient pas, ce taux s’élevant à 68 % pour le RSA activité (destiné aux travailleurs pauvres). La volonté politique de limiter ce non-recours n’est pas à la mesure de l’enjeu puisqu’aucune campagne d’information n’a été menée jusqu’ici. Il existe cependant de fortes disparités dans la politique adoptée face au non-recours au RSA selon les départements qui en ont la gestion. La progression du nombre de recourants au RSA est susceptible d’être limitée, en effet d’après l’enquête de la DARES si 54 % des non-recourants n’avait jamais perçu le RSA mais connaissait son existence. Parmi eux la moitié n’avait pas entrepris de démarches pensant ne pas y avoir droit, et un tiers déclaraient « être certains de ne pas pouvoir en bénéficier ». L’information est donc bien une donnée cruciale pour expliquer le non-recours au RSA.

4Les médias jouent un rôle important dans la diffusion des stéréotypes et autres raccourcis à propos des populations bénéficiaires de revenus sociaux. Il semble cependant que le thème du non-recours occupe une place croissante dans les médias, notamment dans la presse écrite depuis une dizaine d’années. Catherine Chaveaud et Philippe Warin ont recensé entre avril 2010 et avril 2012 les articles de la presse écrite (nationale, régionale, hebdomadaire et quelques journaux en ligne) traitant de ce sujet. Leur résultat est surprenant puisque certes 395 articles ont évoqué la fraude aux prestations sociales, mais 259 ont porté sur l’accès aux droits et au non-recours, ce qui n’est pas du tout négligeable. Les thèmes abordés sont « le renoncement aux soins médicaux, l’absence de couverture maladie et dans une moindre mesure le non-recours à des dépistages ». Vient ensuite le thème du non-recours au RSA. Le mal logement est absent des articles sauf pour Médiapart. Les deux contributeurs montrent l’importance qu’ont les enquêtes officielles et la publication de leurs résultats dans l’agenda éditorial de la presse écrite. Ainsi, c’est à la suite d’une enquête « largement diffusée du CREDOC » que le thème du non-recours émerge dans les articles traitant de renoncement aux soins. Il faut cependant regretter que les journalistes ne fassent jamais (excepté un article du 29 février 2012 paru dans Rue 89) le parallèle entre le non-recours et la fraude.

5L’ODENORE propose ainsi avec ce dernier ouvrage une approche scientifique et argumentée du phénomène du non-recours aux prestations sociales, et dans une moindre mesure de la fraude et des autres limites des politiques sociales (par exemple à propos du logement). Il s’agit d’un ouvrage engagé, dont l’objectif explicite est de faire changer les choses. Ses auteurs en appellent à un changement du regard général porté sur les dépenses sociales. Celles-ci ont subi des attaques répétées depuis maintenant plus de trente ans pointant uniquement leur coût et oubliant dans leurs analyses les retombées positives qu’elles ont sur toute la société en permettant finalement une meilleure répartition des richesses et au final une diminution des dépenses sociales.