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Lutte contre la fraude aux prestations sociales

mardi 7 novembre 2017, par Jeanne HILLION

Le Défenseur des droits recommande de revoir la définition de la fraude pour intégrer la dimension intentionnelle, et de ménager aux bénéficiaires un droit à l’erreur.
Reconnaître le droit à l’erreur

Le manque de cohérence des règles et des pratiques a, par exemple, pour conséquence de considérer des « erreurs de bonne foi » – dont le risque est encore accru par la dématérialisation des procédures – comme des manœuvres frauduleuses et sanctionnées comme telle.

La recherche de l’intentionnalité de l’erreur ou de l’oubli doit être imposée aux services, en intégrant à l’article L.114-7 du code de la sécurité sociale « l’intention frauduleuse comme élément constitutif de la fraude ».

Cette recommandation est « la plus importante » du rapport, juge Jacques Toubon. Il invite le gouvernement à étendre aux particuliers, bénéficiaires de services sociaux, le projet de loi relatif au droit à l’erreur et à la simplification administrative qui ne vise que les entrepreneurs et la matière fiscale.

Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ?

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon publie aujourd’hui un rapport intitulé « Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ? » dans lequel il a identifié et évalué les effets des dispositifs de lutte contre la fraude aux prestations sociales sur les droits des usagers des services publics.

Il relève que l’usager est pris en tenaille entre une procédure déclarative d’accès aux prestations sociales, simplifiée mais propice aux erreurs et un dispositif de lutte contre la fraude de plus en plus étoffé. « La lutte renforcée contre la fraude aux prestations sociales, combinée aux erreurs de déclaration des bénéficiaires, véhicule la suspicion d’une fraude massive et peut s’avérer problématique pour les droits des usagers des services publics » estime ainsi le Défenseur des droits, Jacques Toubon. Pourtant, la fraude aux prestations sociales dans les branches maladie, retraite, famille et à Pôle Emploi, ne représente que 3% du montant total de la fraude détectée en France en 2015 [1] .

Depuis 2014, le Défenseur des droits a constaté une augmentation significative du nombre de réclamations portées à sa connaissance, adressées au siège et aux délégués territoriaux. Ces saisines l’ont conduit à constater que la politique mise en œuvre en matière de fraude était la source de nombreuses atteintes aux droits des usagers des services publics.

Il observe en effet que le législateur a permis aux organismes de protection sociale de sanctionner d’une pénalité financière les déclarations qui s’avèrent inexactes. « Ces cas, favorisés par le développement des démarches déclaratives, peuvent indifféremment procéder d’une erreur ou d’un oubli de déclaration sans que l’allocataire ou l’assuré ait eu l’intention de tromper l’organisme payeur » estime Jacques Toubon.

Il ajoute qu’un « allocataire ou assuré de bonne foi, même s’il demeure responsable de son erreur ou de son oubli, ne saurait être qualifié de fraudeur et se voir appliquer des sanctions ».

Il relève également que les larges pouvoirs accordés aux caisses d’allocations familiales (CAF), d’assurance retraite et de santé au travail (CARSAT), du régime social des indépendants (RSI), de l’assurance maladie (CPAM), de la mutualité sociale agricole (MSA) ou aux agences Pôle emploi ont entrainé des dérives dans les procédures de contrôle, de qualification et de sanction de la fraude. Leurs effets sont d’autant plus dévastateurs, telles que l’obligation de remboursement d’indus considérables par rapport au budget du foyer ou la rupture des ressources, qu’ils atteignent une population déjà fragilisée qui parfois ignore ses droits.

Cela confirme les résultats de son enquête sur l’accès aux droits portant sur les services publics (publiée en mars 2017) révélant que les personnes en situation de précarité économique et/ou sociale rapportent plus de difficultés pour résoudre un problème avec une administration ou un service public et qu’elles sont plus susceptibles d’abandonner leurs démarches.

C’est pourquoi, le Défenseur des droits a élaboré une fiche intitulée « Quels sont mes droits ? » à destination des usagers afin de les aider à faire respecter leurs droits.

Afin de garantir le respect des droits des demandeurs ou bénéficiaires de prestations sociales, le Défenseur des droits formule 16 recommandations qui visent, notamment à :

- mieux informer les demandeurs/bénéficiaires de prestations sur les procédures de contrôle et de sanction de la fraude ;

- renforcer les droits de la défense ;

- préserver la dignité des personnes.

SYNTHÈSE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

1—Des règles et des pratiques plus cohérentes

• Modifier les dispositions de l’article L. 114-17 du code de la sécurité sociale afin que l’intention frauduleuse devienne un élément constitutif de la fraude et rappeler aux organismes locaux la nécessité de rapporter la preuve de l’élément intentionnel constitutif d’une fraude avant de qualifier les faits (recommandation n°1)

• Le cas échéant, différencier la suspicion de fraude de la fraude avérée, lors de l’inscription dans les fichiers de collecte des données liées à la fraude et lors de l’exploitation de ces données (recommandation n°12)

• Clarifier les attributions des agents des Conseils départementaux lors du contrôle des bénéficiaires de prestations (recommandation n°5)

• Diffuser une instruction limitant la procédure de contrôle inopiné aux enquêtes ayant pour objet de contrôler la présence effective de l’usager à son domicile lorsque celle-ci conditionne la prestation (recommandation n°9)

• Diffuser des instructions détaillées s’agissant de la notion de concubinage qui impacte significativement la prise en compte des ressources pour le calcul d’une prestation / Former les agents en charge du contrôle aux particularités de l’enquête visant à établir un concubinage recommandation n°10

• Communiquer à la CNIL les bilans d’activité triennale relatifs aux fichiers « fraude » de la CNAF et de la CNAV prévus par les délibérations CNIL des 13 janvier 2011 et 12 avril 2012 (recommandation n° 12)

Mieux informer les allocataires

— Simplifier et harmoniser le contenu des obligations déclaratives et des
procédures de demandes de prestations pour les usagers. Etudier notamment la possibilité d’une harmonisation des conditions de ressources (recommandation n°2)

• Accompagner les demandes de prestations d’un document à signer par le demandeur, rappelant les obligations de l’usager relatives notamment aux déclarations de changement de situation / Mettre ce document à disposition des usagers sous forme numérique et imprimée (recommandation n°2)

• Renforcer l’information des bénéficiaires concernant la coopération inter-organismes et le droit de communication dont sont titulaires ces derniers, dès l’attribution de la prestation (recommandation n°3)

Lutte contre la fraude aux prestations sociales : à quel prix pour les droits des usagers ?

5• Éditer et diffuser largement auprès des usagers soumis à un contrôle un document – tel qu’une charte – énonçant les droits et devoirs respectifs des bénéficiaires de prestations et du contrôleur (recommandation n°7)

• Modifier l’article 5 du décret en Conseil d’Etat n°2015-389 du 3 avril 2015 afin que dès son inscription dans un fichier « fraude » de la CNAMTS l’usager en soit informé personnellement dans le respect de la délibération CNIL du 23 octobre 2014 (recommandation n° 12)

Renforcer les droits de la défense

—• Renforcer la formation des agents en charge du contrôle en insistant sur le cadre procédural contradictoire, les règles déontologiques afférentes à la fonction de contrôleur, leurs droits et devoirs et ceux des usagers et sur les règles de rédaction d’un procès-verbal (recommandation n°6)

• Diffuser des instructions interbranches rappelant l’obligation d’assurer le principe du contradictoire avant toute qualification frauduleuse des indus et le prononcé d’une pénalité / Modifier la lettre circulaire CNAF n°2012-142 du 31 août 2012 en ce qu’elle préconise une sanction hâtive de la fraude afin que la créance de l’organisme soit exclue du plan de surendettement (recommandation n°11)

• Revoir les modèles de notifications d’indus afin de faire apparaître de manière détaillée :

- la motivation en fait et en droit de la décision ;
- les mentions des voies et délais de recours administratif et contentieux (procédure, adresses et délais pour chaque recours) ;
- la mention des prénom, nom et qualité de l’auteur de la décision ainsi que sa signature (recommandation n°14)

• Distinguer la contestation (exprimée dans le cadre du recours) de la possibilité de solliciter une remise de dette (ouverte uniquement pour les indus non frauduleux) et informer les usagers des conséquences de cette distinction sur la reconnaissance du principe même de l’indu (recommandation n°15)

• Diffuser des instructions nationales rappelant l’autorité conférée à une décision de justice (civile définitive en matière de fraude / Instituer un recours administratif préalable en cas de contestation de la sanction infligée dans les branches famille et retraite auprès d’une commission constituée au sein du conseil d’administration de l’organisme et non plus auprès de l’autorité décisionnaire (recommandation n°16)

Préserver la dignité des personnes

—• Engager une réflexion sur les alternatives à l’exploitation automatisée des données (data mining) afin de mieux garantir l’égalité de traitement des usagers / Mettre fin au contrôle ciblé des populations nées hors Union européenne tel que prévu dans la lettre circulaire CNAF n°2012-142 du 31 août 2012 (recommandation n°4)

• Instaurer par voie règlementaire un délai maximal de suspension du versement des prestations en cas d’enquête en cours pour suspicion de fraude (recommandation n°8)

• Garantir la bonne appl des dispositifs juridiques encadrant le recouvrement des indus frauduleux, au moyen d’instructions nationales rappelant les principes fondamentaux en la matière : reste à vivre, application du plan de remboursement personnalisé, échelonnement du remboursement (recommandation n°1)

QUELS SONT MES DROITS ?

—• Lors d’un contrôle à mon domicile, je peux demander à être assisté(e) d’un tiers ou d’un interprète et obtenir le rapport d’enquête rédigé postérieurement.

• L’agent de contrôle ne peut pas pénétrer à mon domicile sans mon consentement. Toutefois, le fait de ne pas se soumettre au contrôle – sans raison valable – peut être assimilé à un refus de contrôle, lequel peut entrainer la suspension du versement de mes prestations voire le prononcé d’une pénalité financière.

• Si l’organisme m’informe d’un « indu » frauduleux – prestation que je n’aurais pas dû percevoir et que je suis tenu(e) de rembourser – avec lequel je suis en désaccord, ’écris à l’organisme pour en contester le principe en respectant les voies et délais de recours précisés par l’organisme.

• Les organismes de protection sociale sont tenus de suspendre la récupération de l’indu durant le traitement de ma contestation devant
la commission de recours amiable (CRA).

• Si je demande une remise partielle ou totale de ma dette sans la contester, l’organisme peut considérer que j’ai reconnu cette dette et que j’en suis redevable. En cas de fraude, les demandes
de remise de dette sont systématiquement refusées.

• S’agissant des allocations chômage et des prestations
maladie et vieillesse, l’organisme peut retenir une fraction de mes prestations en remboursement de ma dette, mais il doit me rester 535,17 € chaque mois pour vivre (minimum vital – toutes ressources confondues – pour une personne seule en 2017).

• S’agissant des allocations versées par la CAF ou la MSA (prestations familiales, allocations logement, RSA, AAH, etc.), les retenues effectuées sur mes prestations à venir sont variables selon ma situation, même si mes ressources sont inférieures ou égales à 535,17 € par mois.

• En l’absence de réponse de la part de l’organisme à ma contestation dans le mois qui suit son envoi, je peux considérer que ma demande est rejetée. Je dispose dès lors de deux mois pour écrire au tribunal compétent (tribunal des affaires de sécurité sociale ou tribunal administratif selon la prestation en cause) afin qu’il tranche mon litige.

L’avocat n’est pas obligatoire.

Je peux également attendre la décision de l’organisme.
• Si l’organisme prend une décision de maintien de l’indu et/ou de la pénalité après ma contestation, j’ai deux mois pour écrire au tribunal compétent (tribunal des affaires de sécurité sociale ou tribunal administratif selon la prestation en cause) afin qu’il tranche mon litige.
L’avocat n’est pas obligatoire.

Si j’ai un doute ou que mes droits ne sont pas respectés, je peux saisir le Défenseur des droits :

—Soit je me rends à l’une des permanences d’un délégué du Défenseur des droits
près de chez moi (ils sont plus de 450 répartis sur l’ensemble du territoire national).

Soit par courrier, sans affranchissement, à l’adresse suivante :
Défenseur des droits
Libre réponse 71120
75342 PARIS
CEDEX 07

[Soit sur le site internet, par formulaire à remplir en ligne, en suivant ce lien [2]->https://formulaire.defenseurdesdroits.fr/code/afficher.php?ETAPE=accueil_2016]
https://www.defenseurdesdroits.fr/s...
Soit par téléphone :
09 69 39 00 00


Voir en ligne : https://www.defenseurdesdroits.fr/s...


[1Selon la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF)

[2Formulaire en ligne