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Laïcité et travail social

mardi 9 août 2016, par Jeanne HILLION

Discours de Ségolène Neuville - Assises des solidarités « La laïcité à l’épreuve des identités : quels enjeux pour les travailleurs sociaux ? »

1er juillet 2016 – Perpignan

Discours de Ségolène Neuville

Mesdames et Messieurs,

Si j’ai tenu à être aux côtés d’Hermeline Malherbe ce matin dans le cadre des Assises des solidarités consacrées à la question de la laïcité et à ses enjeux dans le cadre du travail social, c’est qu’il s’agit d’un enjeu important dans le cadre du plan [telecharger ce plan 60 pages ici [d’action en faveur du travail social et du développement social http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_d_action_egts_maquette_20102015_web.pdf]], que j’ai présenté en octobre dernier en Conseil des Ministres.

A plusieurs reprises ces derniers mois j’ai été à la rencontre d’étudiants en travail social. J’ai entendu leurs doutes et leurs difficultés face à la tentation de céder sur la laïcité, à laquelle pourtant ils sont attachés : céder parce que la vie est dure pour beaucoup de nos concitoyens, céder par crainte de se montrer dominants, céder parce qu’on a l’espoir que cette concession permettra de garder le lien avec de jeunes gens sans illusion et sans espoir. Céder devant une revendication simplement parce qu’elle émane d’un groupe de personnes potentiellement victimes de racisme par ailleurs.

Ce principe de laïcité, j’ai conscience que les travailleurs sociaux ne doivent pas en être les seuls messagers. Je crois que nous devons tous être résolument laïcs, sans culpabilité. Nous le devons parce que notre démocratie en dépend.

A ce sujet je souhaite citer Jean Jaurès, lors de son discours de Castres, le 30 juillet 1904 :

« Démocratie et laïcité sont deux termes identiques.(…) Il n’y a pas égalité des droits si l’attachement de tel ou tel citoyen à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion, est pour lui une cause de privilège ou une cause de disgrâce. Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou sociale, la démocratie ne fait intervenir, légalement, la question religieuse. Elle ne demande pas à l’enfant qui vient de naître, (…) à quelle confession il appartient, et elle ne l’inscrit d’office dans aucune Église. Elle ne demande pas aux citoyens, quand ils veulent fonder une famille, et pour leur reconnaître et leur garantir tous les droits qui se rattachent à la famille, quelle religion ils mettent à la base de leur foyer, ni s’ils y en mettent une. Elle ne demande pas au citoyen, quand il veut faire, pour sa part, acte de souveraineté et déposer son bulletin dans l’urne, quel est son culte et s’il en a un. »

Ce discours, qui est toujours d’actualité, Jean Jaurès l’a donc prononcé un an avant le vote solennel de la loi de Séparation à l’Assemblée Nationale, le 3 juillet 1905. La loi sera promulguée définitivement le 9 décembre de la même année. Je souhaite revenir sur ce qui s’est passé lors de son application. La loi prévoyait un inventaire de tous les biens d’église. L’administration a alors demandé aux agents publics d’entrer dans tous les lieux de culte et de faire ouvrir jusqu’aux tabernacles, pour permettre un inventaire exhaustif. Une partie des catholiques n’ont pas accepté pas cette mesure, la résistance s’est organisée, et des émeutes ont eu lieu dans toute la France. Le gouvernement de Maurice Rouvier a été renversé. La situation a continué de s’envenimer, notamment du fait des déclarations du Pape Pie X qui a condamné la Séparation, en août 1906. Aristide Briand, devenu ministre des cultes, a dû faire adopter trois lois supplémentaires pour pouvoir finalement faire appliquer la Séparation.

La bataille législative s’est donc poursuivie jusqu’en avril 1908. Quand on parle de laïcité et de la loi de 1905, on parle souvent des débats qui ont eu lieu avant la loi. On a tendance à oublier que son application, une fois la loi votée, n’a pas du tout été un long fleuve tranquille. Il est bon de s’en souvenir quand l’histoire semble se répéter.

Lors de la commémoration des 110 ans de la loi de la République sur la séparation des Églises et de l’État, le Premier Ministre a rappelé que « Le génie de la loi de 1905, c’est de séparer pour rassembler. Séparer le politique du religieux. Séparer pour que, ni les religions, ni l’Etat, ne puissent imposer à quiconque une quelconque croyance. Séparer le spirituel du temporel pour que tout le monde, tous les citoyens puissent se rassembler autour de valeurs communes et d’un projet commun. »

C’est ce socle de valeurs communes qui permet l’égalité républicaine, c’est-à-dire qui permet d’être traité à égalité, sans distinction en fonction du sexe ou de la religion, sans faire de différence.

Les travailleurs sociaux, comme tous les professionnels qui remplissent des missions de service public, sont au coeur du dispositif républicain.

Certains étudiants m’ont dit que leur éthique personnelle suffisait pour exercer leur métier. Qu’ils étaient au service de l’humain, mais pas de la République. J’y ai certes vu le signe d’un grand engagement, mais aussi d’une incompréhension : car dans vos métiers, vous incarnez la République.

Une République qui en organisant le libre choix des individus, a permis et continue de permettre le progrès à travers l’émancipation, en particulier l’émancipation des femmes. La laïcité a contribué à sortir les femmes de l’assignation à leur rôle domestique. En effet, force est de constater que la plupart des conquêtes majeures des femmes se sont historiquement faites en opposition aux pouvoirs politico-religieux : droit à l’éducation, droit à disposer de son corps (accès à la contraception et à l’IVG), droit à ne pas subir de violences en particulier dans le cadre du mariage, droit de divorcer… des conquêtes qui doivent donc beaucoup à la laïcité. Les droits des femmes ont été conquis et reconnus à partir du moment où le législateur a pu s’affranchir des traditions religieuses.

En France, nous avons conçu un principe de laïcité universaliste, séparant résolument le religieux et la chose publique. La société évoluant en permanence, il est normal que le principe de laïcité soit sans cesse confronté à l’épreuve des faits. Comme lors de la première application de la loi en 1906, il y a depuis 25 ans des questions qui reviennent sur la laïcité. Depuis précisément 1989 avec la première affaire du foulard dans un collège de Creil, en passant par le débat en 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école, au collège et au lycée, et de nouveau, avec la loi de 2010 sur l’interdiction du voile intégral. Aujourd’hui, la loi de 2004 fait consensus, et celle sur le voile intégral doit être appliquée.

En réalité, les débats de ces 25 dernières années sont venus nous rappeler que la laïcité est une conquête permanente, conquête de l’émancipation. En effet, l’émancipation renvoie chacun d’entre nous à son statut d’individu libre, à son autonomie morale et intellectuelle, hors de toute communauté de soutien ou d’affiliation.

La laïcité et l’intégration dans la société peuvent se potentialiser mais ne fonctionnent pas sur le principe des vases communicants : transiger sur les principes de laïcité ne peut pallier les échecs des politiques d’intégration ou d’accès à l’emploi. Au contraire, à long terme, transiger sur la laïcité accroît les risques de segmentation sociale, voire de victimisation, et donc les risques de fracture sociale. Les attentats ont révélé ces malaises, car à leur occasion, ces contradictions ont été clairement révélées.

D’une part, tout le monde était rassemblé dans un élan fraternel avec un besoin de laïcité : besoin de rassemblement de tous, besoin de discussion libre en dehors des dogmes, droit à ne pas être considéré comme différent avec une étiquette collée à la peau…

Mais en même temps, alors que nous prenons totalement conscience du besoin d’affirmer fermement la laïcité, sa mise en oeuvre est questionnée. Il faut appliquer la laïcité prévue par la loi, « sereinement et sagement » comme l’a dit le ministre de l’Intérieur car sinon c’est la démocratie qui sera menacée. C’est bien le sens des propos de Jean Jaurès que je citais tout à l’heure.

Je sais cependant qu’adopter la bonne attitude face à ces sujets complexes requiert un grand savoir-faire. Face à des situations dans lesquelles le principe de laïcité est menacé, je comprends que vous puissiez douter. Ces doutes, pour les dépasser, il faut simplement les référer aux valeurs communes de liberté, d’égalité et de fraternité.

Prenons l’exemple d’un homme qui refuse de serrer la main d’une femme. Soyons clairs, c’est inadmissible dans une République comme la nôtre, où le principe d’égalité entre les femmes et les hommes est inscrit dans la constitution. Je ne vous propose pas d’imposer par la force une attitude qui ne serait pas comprise, mais je crois qu’il est possible de la faire reconnaître comme légitime. Comme cette cheffe de service qui explique sereinement à son collaborateur refusant de lui serrer la main que s’il persiste, celle-ci défèrera son refus devant le conseil de discipline de la collectivité pour confronter son refus avec le principe d’égalité femmes – hommes, mais qu’avant toute chose, elle lui demande de réfléchir. Celui-ci, ayant consulté son guide spirituel, lui expliquera un mois après que désormais il lui serrera la main, cette attitude ne le rendant finalement pas en défaut par rapport à sa religion. Par cet exemple, je souhaite vous montrer qu’il est possible d’être ferme et pédagogue sur le respect du principe de laïcité.

Cette laïcité ferme et sereine est notre avenir dans la mesure où elle enracine et renforce notre démocratie. Gardons-nous donc d’une laïcité qui s’excuse au nom des inégalités persistantes dans la société, ou au nom d’une culpabilité liée aux injustices historiques ou actuelles subies par tel ou tel pays ou populations.

C’est pourquoi également nous ne devons pas abandonner la laïcité aux partis extrêmes. Il est impossible de rester sourd au vote des jeunes lors des dernières élections régionales : 65% se sont abstenus, 1/3 des votants âgés de 18-24 ans a voté pour l’extrême droite. Comme l’a déjà fait le Premier ministre, je l’affirme à mon tour : la plus grande imposture de l’extrême droite, c’est de brandir la laïcité non pour rassembler mais pour diviser. Abdiquer au quotidien sur la laïcité, c’est l’abandonner à ceux qui l’ont toujours combattu : il y a quelques mois encore, le front national nous a montré, à travers les attaques contre le planning familial, combien il était opposé aux droits des femmes à disposer de leurs corps. Il faut prendre conscience de l’imposture et il faut réagir. Si nous n’y prenons pas garde collectivement, la prochaine génération ne connaîtra plus le sens du mot laïcité. L’extrême-droite cherche à dévoyer la laïcité. Et cette usurpation risque d’alimenter toutes les thèses complotistes.

Dans ce combat, le gouvernement prend ses responsabilités.

Au cours de l’année scolaire qui s’achève, c’est tout le dispositif d’enseignement de nos valeurs qui a été refondé : formation des enseignants, enseignement moral et civique, enseignement laïque des faits religieux, mobilisation d’une réserve citoyenne, installation de référents académiques sur la laïcité.

Par ailleurs, la formation des travailleurs sociaux à la transmission des valeurs républicaines est une des mesures du plan d’actions en faveur du travail social. Michel Thierry, qui a présidé le dernier Conseil Supérieur du Travail Social (CSTS), présentera jeudi prochain, dans le cadre de la mise en place du nouveau « Haut Conseil du Travail social », son rapport sur les valeurs républicaines, la laïcité et la prévention des dérives radicales dans le champ du travail social. Il y formule notamment des préconisations pour l’intégration de la laïcité dans les formations initiales et continues, qui seront prises en compte dans le cadre du chantier en cours de ré-architecture des diplômes visant à leur reconnaissance universitaire et qui conduira à la revalorisation des métiers dans la fonction publique dès 2017.

Aujourd’hui notre responsabilité est grande, et cette responsabilité est collective : quelle société voulons-nous pour demain ? Nous appartenons à une même Nation, et les lois nous donnent à chacun les mêmes droits. Mais la force d’une démocratie laïque, c’est précisément de ne pas faire de différence, accorder à tous les mêmes droits sans faire de distinction.

En pratique nous n’y sommes pas encore tout à fait. Il existe encore des discriminations, nombreuses, des propos racistes, antisémites ou sexistes continuent d’être tenus. Il existe aussi beaucoup de confusions, entretenues volontairement par des femmes et des hommes politiques prêts à mettre en danger la Nation toute entière.

C’est pourquoi il nous faut inlassablement lutter contre les préjugés et les stéréotypes, contre le racisme, l’antisémitisme, le sexisme et toutes formes de discriminations. Je me réjouis à ce sujet que l’Assemblée Nationale ait adopté définitivement la loi visant à lutter contre la discrimination en raison de la précarité sociale, qui contribuera je l’espère à faire reculer la stigmatisation des plus pauvres et à redonner confiance aux personnes en difficulté.

J’ai conscience que ce combat est difficile : mais c’est une bataille à laquelle il faut se livrer sereinement, fermement et collectivement. Car il en va en réalité de notre liberté à tous, de défendre les valeurs et arriver à trouver des solutions pour défendre coûte que coûte la laïcité.
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