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CONDAMNÉS À L’ERRANCE : LES EXPULSIONS FORCÉES DE ROMS EN FRANCE

vendredi 27 septembre 2013, par Jeanne HILLION

CONDAMNÉS À L’ERRANCE : LES EXPULSIONS FORCÉES DE ROMS EN FRANCE

Amnesty International, septembre 2013
 [1]

Plus d’un an après l’arrivée du gouvernement de François Hollande,
le cycle infernal des expulsions forcées à répétition continue pour
les populations roms en France. Durant le premier semestre 2013,
10 174 Roms auraient été évacués, un nombre record.

Les recherches d’Amnesty International à Lille, Lyon et en Île-de-France
démontrent que les Roms continuent à être chassés de leurs lieux de vie
sans être consultés et informés de façon adéquate. Ils sont souvent rendus sans abri et condamnés à se réinstaller dans d’autres campements
informels. Les expulsions forcées, sur fond de discriminations et d’hostilité grandissante envers les Roms, ont toujours des conséquences
dramatiques : précarisation, rupture de scolarité et de parcours de
soin, marginalisation persistante.

L a circulaire interministérielle du 26 août 2012 a marqué un changement
de discours et a suscité l’espoir d’une amélioration quant aux expulsions
forcées. Mais ce texte ne donne que des instructions approximatives
et non contraignantes, qui dans les faits sont appliquées de façon hé-
térogène et inadéquate par les autorités locales. Contre la pratique
illégale des expulsions forcées, tenter de « procéder avec humanité »
s’est révélé largement insuffisant.

Amnesty International renouvelle son appel au gouvernement français à
mettre en place des garanties effectives contre la pratique des expulsions forcées, et l’exhorte à démontrer son engagement pour le respect
des droits humains en France.

TÉLÉCHARGER LE RAPPORT :

extrait :

LES CONSÉQUENCES DES EXPULSIONS FORCÉES

Les droits humains sont interdépendants, indissociables et intimement liés. Les expulsions forcées, qui représentent une violation du droit à un logement convenable, ont indéniablement une incidence sur l’exercice d’autres droits tels que le droit à l’éducation, le droit à la santé et le droit à la sécurité et à la vie privée. En France, l’absence de protection contre les expulsions forcées condamne la communauté rom à une vie d’errance, de campement de fortune en campement de fortune. Cette instabilité infligée et la dégradation des conditions de vie causée par les expulsions forcées maintiennent ces personnes dans la précarité et la marginalité.

L’IMPACT SUR LA SANTÉ

La fragilisation de la santé

Les conditions de vie ont un impact direct sur la santé des personnes habitant dans les campements informels d’après les professionnels de la santé interrogés. Médecins du Monde à Lyon signale que parmi les pathologies diagnostiquées dans les squats et bidonvilles en 2012, 26,8 % sont des pathologies ORL liées notamment au surchauffage dans les habitats, 10 % d’ordre gynéco-obstétrique, 11,4 % étaient d’ordre dermatologique, et 8,6 % étaient d’ordre gastro-entérologique.

Ces deux derniers types de pathologies sont directement liées aux conditions de vie (problème d’hygiène liée à l’absence d’eau et difficile conservation des aliments). Soulignant la corrélation entre ces pathologies et la précarité, la coordinatrice de Médecins du Monde indique « vu les conditions de vie, on est surpris qu’ils ne soient pas davantage malades ». D’après un rapport de l’Agence régionale de la santé (ARS), à Lyon l’ensemble des personnes vivant à la rue aurait une espérance de vie de 51 ans alors que la moyenne nationale française est de 81 ans.

Les évacuations ont évidemment des conséquences négatives sur la santé des personnes car leurs conditions de vie se détériorent, mais elles entraînent également souvent une rupture de soins médicaux ainsi que du travail de suivi et de prévention. Médecins du Monde à Lyon a confirmé que les expulsions à répétition compliquaient énormément la prise de traitement, le suivi des femmes enceintes et des pathologies. Le travail de médiation sanitaire, qui est déjà compliqué d’après l’expérience de l’Aréas à Lille et l’association Première Urgence-Aide médicale internationale (PU-AMI) dans le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis, est souvent à recommencer après une expulsion. Dans certains cas, les expulsions perturbent ou interrompent des campagnes de vaccination et de dépistage de maladies contagieuses.

Une barrière supplémentaire à l’accès aux soins

Les populations roms habitant en squat et campements informels ont droit, comme tous les étrangers sans titre de séjour résidant en France depuis plus de trois mois de manière ininterrompue, à une couverture médicale appelée Aide médicale d’État (AME). Pour l’obtenir, les personnes doivent être domiciliées dans un centre communal d’action sociale, un centre intercommunal d’action social (CCAS ou CIAS) ou un organisme agréé, comme par exemple certaines associations.

La domiciliation administrative reste un des obstacles principaux pour faire valoir ce droit, car certains CCAS refusent directement ou indirectement de domicilier les personnes roms. La mairie de Saint-Fons, dans l’agglomération de Lyon, a limité l’attribution de la domiciliation AME aux seules familles avec des enfants scolarisés sur la commune, malgré plusieurs interpellations de Médecins du Monde concernant des familles ayant des problèmes de santé importants, nécessitant une hospitalisation et donc une couverture maladie . Lorena n’a aucune couverture médicale car la domiciliation au CCAS de Saint-Fons lui a été refusée à trois reprises.

À La Courneuve, les populations roms se voient de facto refuser la domiciliation et donc l’AME, car selon la mission bidonville de Médecins du Monde « on leur impose des critères d’éligibilité impossibles à atteindre, comme par exemple un avis d’imposition ».

Un médiateur sanitaire de PU-AMI, qui signale que le CCAS du 94 fait souvent obstacle à la domiciliation des personnes roms, s’étonne : « on ne comprend pas pourquoi il y a un blocage au niveau de l’AME, il n’y a pourtant pas de course aux soins, au contraire on a déjà du mal à les convaincre de se soigner » Les évacuations retardent ou annulent l’accès aux soins, car la carte AME ou les documents pour l’obtenir sont souvent perdus ou détruits, et en conséquence il faut faire de nouvelles démarches d’inscription. Parfois les personnes se réinstallent loin de l’endroit d’où elles ont été expulsées, et il devient difficile de se rendre dans les centres de soin qu’elles fréquentaient, elles doivent donc se réinscrire dans leur nouvelle commune.

Ces retards dans la prise en charge médicale peuvent avoir de lourdes conséquences.

« On arrive souvent quand il est déjà trop tard, quand le problème de santé est déjà là » a déploré la chef de service de l’Aréas à Lille. Médecins Solidarité Lille est l’unique centre de soins gratuit pour les Roms migrants de l’agglomération lilloise. Ainsi d’après eux les expulsions sont dramatiques pour les personnes n’ayant pas – ou pas encore obtenu – l’AME et qui sont expulsées hors de l’agglomération, car elles ne bénéficient plus d’aucun suivi et éprouvent de grandes difficultés à se soigner.

CONDAMNÉS À L’ERRANCE.LES EXPULSIONS FORCÉES DE ROMS EN France
Amnesty International, septembre 2013

Dans un nouveau rapport sur la situation des Roms en France, Amnesty International dénonce une politique insuffisante qui n’a pas interrompu le cycle infernal des expulsions forcées.

Intitulé « Condamnés à l’errance. Les expulsions forcées des Roms en France », ce rapport revient sur les différentes mesures prises par le gouvernement depuis un an et leurs conséquences sur la situation des Roms en France.

Il repose sur des recherches menées sur l’Ile de France mais également sur les agglomérations de Lille et de Lyon qui concentrent à elles seules près d’un quart de la population rom en France. Le rapport s’appuie sur de nombreux témoignages et entretiens menés auprès d’associations, collectifs de soutien, avocats, institutions indépendantes et personnes roms.

Il passe notamment en revue plusieurs dispositifs « d’anticipation et d’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites » préconisés par la circulaire interministérielle du 26 août.

Une politique insuffisante

Il souligne l’importante distorsion entre les dispositions de la circulaire et l’application qui en est faite de la part des préfets. La conséquence est qu’invariablement les dispositifs mis en place sont largement insuffisants et inefficaces car ils n’ont pas pour objectif principal la mise à l’abri des personnes et des familles excepté pour quelques individus considérés comme « vulnérables ».

Les évacuations sont menées en dépit des normes du droit international qui prévoit que des garanties soient mises en place afin de ne pas rendre les familles sans abri. A l’inverse, les familles continuent d’être expulsées sans avoir été ni informées, ni consultées et sans se voir proposer de solutions d’hébergement adaptées ou de relogement.

Le manque de protection juridique : l’expulsion du squat de la rue Sidoine, à Lyon

L’évacuation du squat de la rue Sidoine Apollinaire dans le 9e arrondissement de Lyon a eu lieu le 10 juillet 2013 à 7 heures. Les autorités ont indiqué que cette expulsion se basait sur une ordonnance d’expulsion qui datait de novembre 2011. Or cette décision visait les occupants qui avaient quitté l’immeuble en été 2012 et avaient été remplacés par des familles roms après leur départ. L’ordonnance qui a justifié cette évacuation ne visait donc pas les familles roms expulsées.

Pour autant, les familles ont bien été expulsées sans avoir été consultées par les autorités en amont de l’évacuation, et elles n’ont reçu aucune information concernant l’expulsion. Aucune solution d’hébergement n’a été proposée. Les 45 habitants environ, parmi lesquels 14 enfants et une femme qui était sur le point d’accoucher, ont été rendus sans abri.

Les conséquences des expulsions : le témoignage d’Adela

Adela, 26 ans, habite en Île-de-France depuis 2002. Elle vit avec son mari Gheorghe et ses trois enfants dans un campement informel à Grigny, et elle est sur le point d’accoucher. Elle a été expulsée de Ris Orangis le 3 avril 2013 suite à un arrêté municipal, ce qui constituait d’après elle sa quinzième expulsion depuis qu’elle vit en France.

C’était comme toutes les expulsions depuis que je suis en France. La police est venue à 7 h 30, mais nous on était réveillés depuis 5 h 30, on avait même réveillé les enfants. Ils nous ont donné 15 minutes pour dégager. Tu peux rien faire, c’est leur boulot, nous on a pas de problèmes avec la police ; c’est pas de leur faute. Ça ne sert à rien de résister, tu sors comme tout le monde. »

Adela

Après l’expulsion, Adela a d’abord été hébergée cinq jours dans un hôtel à Nanterre, puis une semaine à Saint-Ouen. Ses trois enfants étaient scolarisés à Viry Chatillon, où elle avait vécu deux ans et demi, la plus longue période de stabilité qu’elle ait connu. En raison de la distance entre les hôtels et Viry Chatillon, ses trois garçons de 5, 8 et 11 ans n’ont pas été à l’école jusqu’à ce qu’elle se réinstalle à Grigny sur un autre campement informel deux semaines environ après l’expulsion.

Amnesty International rejoint les recommandations du Défenseur des droits dans son bilan d’application de la circulaire, et exhorte le ministre de l’Intérieur à rappeler à tous les préfets que les opérations d’évacuation doivent être effectuées en conformité avec les normes du droit international relatif aux droits humains.

Enfin, l’organisation regrette les propos qui sont tenus régulièrement par des personnalités politiques qui perpétuent les clichés et attisent les réactions d’animosité et de rejet. Le sort des Roms ne doit pas être réglé au regard des déclarations stigmatisantes et de vagues d’expulsion vers le pays d’origine. Il ne le sera que par l’affirmation d’une volonté politique d’accueillir des êtres humains qui n’aspirent qu’à une vie normale et à devenir des européens comme les autres.
Rappel du contexte

La sortie de ce rapport s’inscrit dans le cadre de la campagne menée par Amnesty International contre les expulsions forcées.

Selon Amnesty International il est primordial d’interdire tout recours aux expulsions forcées car :

Elles sont illégales au regard des normes du droit européen et international.

Elles aggravent les conditions de vie des personnes et les condamnent à l’errance.

Elles entraînent des ruptures de parcours scolaire et de parcours de soin.

Elles sont traumatisantes pour les enfants notamment.Elles mettent en échec tout processus d’intégration.

Elles sont contraires à la dignité humaine.

Agissez sur Twitter, retweetez ce message

Non, Monsieur Valls, les populations #Roms n’ont pas "des modes de vie extrêmement différents des nôtres". #Rapport pic.twitter.com/orm6smyou5
— Amnesty France (@amnestyfrance) September 25, 2013


Voir en ligne : Amnesty International


QU’EST-CE QU’UNE EXPULSION FORCÉE ?

Une expulsion forcée est une atteinte aux droits humains qui consiste à obliger des personnes à quitter,
contre leur volonté, le domicile ou le terrain qu’elles occupent, sans protection juridique et garanties de
procédure appropriées.

Une expulsion menée par la force ne constitue pas toujours une expulsion forcée.

Si toutes les garanties procédurales exigées par le droit international sont mises en place et respectées, il
n’y a pas violation de l’interdiction de procéder à des expulsions forcées.

D’après l’Observation générale n° 7 de 1997 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC),
pour protéger les personnes contre les expulsions forcées :

• Les expulsions ne doivent être pratiquées qu’en dernier ressort et uniquement après examen de
toutes les autres solutions possibles.

• Une véritable consultation des personnes concernées doit avoir lieu avant l’expulsion et elles doivent
pouvoir proposer des solutions alternatives.

• L’État doit veiller à ce que personne ne se retrouve sans domicile ni exposé à d’autres atteintes aux
droits humains à la suite d’une expulsion. Il doit, par tous les moyens appropriés et au maximum de
ses ressources disponibles, proposer d’autres possibilités de logement, de réinstallation ou d’accès
à une terre productive selon le cas aux personnes qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins.

• Les autorités doivent donner un délai de préavis suffisant et raisonnable à toutes les personnes
concernées ; ainsi que des informations sur l’expulsion envisagée suffisamment à l’avance.

• Les autorités doivent s’abstenir de procéder à des expulsions par temps particulièrement mauvais
ou de nuit.

• Le recours à la force doit rester proportionné et raisonnable, et les gouvernements n’ont pas le
droit de recourir à de telles actions à des fins punitives.

• Si une expulsion forcée a lieu, les États doivent garantir l’accès à un recours utile avant l’évacuation
et l’accès à une aide judicaire le cas échéant, ainsi que le droit à des réparations, qui peuvent
prendre la forme de restitution, de réadaptation, d’indemnisations, de réhabilitation et de garanties
de non répétition.

Ces garanties procédurales doivent s’appliquer en toutes circonstances et à toutes les personnes présentes
sur le territoire, qu’elles occupent ou détiennent légalement ou non les terrains ou les locaux où elles vivent


[1Amnesty International

Créée en 1961 par Peter Benenson, Amnesty International est un mouvement mondial et indépendant rassemblant des personnes qui œuvrent pour le respect, la défense et la promotion des droits humains.

La vision d’Amnesty International est celle d’un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et dans d’autres textes internationaux relatifs aux droits humains. Afin d’être fidèle à cette vision, Amnesty International se donne pour mission de mener des recherches et des actions visant à prévenir et faire cesser les atteintes graves à l’ensemble de ces droits.
De la recherche à l’action

Les enquêtes, menées par nos chercheurs sur le terrain et au travers du recoupement d’informations, donnent lieu à la publication régulière de communiqués et rapports (dont le rapport annuel). Ces informations rendent compte de la situation des droits humains dans le monde et sont à la source des pressions exercées sur les autorités et décideurs (gouvernements, organisations internationales, groupes armés, entreprises et autres agents non gouvernementaux), de la mobilisation des militants (écritures de lettres et signatures de pétitions, rassemblements et manifestations, débats publics et éducation aux droits humains) et de la sensibilisation du public.
Le pouvoir de l’indépendance

La solidarité internationale, qui est au cœur de toutes nos actions, se nourrit de nos principes d’indépendance et d’impartialité. Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute croyance religieuse et est donc en mesure de dénoncer les violations des droits humains partout dans le monde, en toute impartialité. Nous fonctionnons et finançons nos actions grâce au soutien financier de nos membres et de nos donateurs. Nous n’acceptons aucune subvention ou don des Etats, des partis politiques et ne sollicitons pas les entreprises.
Une ambition qui évolue

En cinquante ans, Amnesty International a profondément évolué. Notre champ d’intervention, initialement limité aux prisonniers d’opinion, s’est étendu à l’ensemble des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Prix Nobel de la paix en 1977, Amnesty International rassemble aujourd’hui plus de 3 millions de membres et sympathisants et compte des sections ou structures dans 72 pays.

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