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plaquette d’Informations médicales

Conséquences psychotraumatiques des violences

mercredi 4 août 2010, par Jeanne HILLION

L’Association Mémoire traumatique et Victimologie, en partenariat avec la Délégation Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité, a édité une plaquette

"Les découvertes récentes en clinique et en neurobiologie permettent de connaître les mécanismes psychotraumatiques à l’œuvre en cas de violence et ainsi de mieux comprendre les victimes, leurs souffrances, leurs symptômes et leurs comportements, de mieux les accueillir et conduire un entretien, de mieux évaluer les conséquences des violences et de mieux les accompagner, les aider, les orienter et les soigner.

Connaître ces mécanismes psychotraumatiques permet aussi de mieux comprendre les mécanismes de la violence, les stratégies des agresseurs, de mieux évaluer la dangerosité de certaines situations, et de mieux prévenir les violences."

Vous pouvez télécharger l’édition 2009 de la plaquette en cliquant ici

Association Mémoire traumatique et Victimologie

Antenne 92 de l’Institut de Victimologie

118, avenue du Général-Leclerc

92340 Bourg la Reine

drmsalmona@gmail.com

Visitez aussi le blog Stop aux violences familiales, conjugales et sexuelles

Article du Dr MURIEL SALMONA

septembre 2008

A TÉLÉCHARGER ICI en pdf :

La mémoire traumatique, trouble de la mémoire implicite émotionnelle, est une conséquence psychotraumatique
des violences les plus graves se traduisant par des réminiscences intrusives qui envahissent
la conscience (flash-back, illusions sensorielles, cauchemars) et qui font revivre à l’identique
tout ou partie du traumatisme, avec la même détresse, la même terreur et les mêmes réactions
physiologiques, somatiques et psychologiques que celles vécues lors des violences.

Anhistorique,
non-intégrée, hypersensible, elle est déclenchée par des sensations, des affects, des situations qui
rappellent, consciemment ou non, les violences ou des éléments de leur contexte, et ce jusqu’à des
dizaines d’années après le traumatisme.

Elle est particulièrement fréquente chez les victimes de violences
sexuelles, de maltraitance dans l’enfance et d’actes de barbarie et de tortures, et elle est à
l’origine des symptômes psychotraumatiques les plus graves, les plus chroniques et les plus invalidants.

Très difficile à calmer, la mémoire traumatique peut, particulièrement quand elle est parcellaire
ou sensorielle, ne pas être identifiée ni reliée au traumatisme ce qui la rend d’autant plus déstabilisante
et déstructurante (impression de danger et de mort imminents, de devenir fou).

Elle
s’apparente à une bombe prête à se déclencher à tout moment, transformant la vie en un terrain miné,
nécessitant une hypervigilance et une mise en place de stratégies d’évitements et de contrôles
épuisants et handicapants (évitements des situations, de sensations, de la pensée, des émotions) ainsi
que d’auto-traitement par des conduites dissociantes qui permettent de s’anesthésier.

Les mécanismes
neuro-biologiques et neuro-physiologiques qui la sous-tendent commencent depuis quelques
années à être bien connus et permettent d’élaborer des modèles théoriques qui éclairent la génèse de
nombreux symptômes psychotraumatiques mais aussi de troubles psychiques associés très souvent
présents et difficiles à comprendre chez les victimes comme les troubles de la personnalité, du
comportement et des conduites (particulièrement les conduites à risque, les conduites auto-agressives
et les addictions).

Étude clinique et recherche fondamentale en neurosciences s’associent
comme le souhaitait Freud pour proposer un modèle explicatif cohérent utilisable pour la clinique et
le traitement.

Mécanismes à l’oeuvre :

Les mécanismes neuro-biologiques qui sont à l’origine de cette mémoire traumatique sont assimilables
à des mécanismes de sauvegarde exceptionnels qui, pour échapper à un risque vital intrinsèque
cardio-vasculaire et neurologique induit par une réponse émotionnelle dépassée et non contrôlée,
vont faire disjoncter le circuit de réponse émotionnelle (comme dans un circuit électrique en
surtension qui disjoncte pour sauvegarder les appareils).

Le circuit neurologique en question est le
système limbique dont les principales structures sont les amygdales, les hippocampes et le cortex
associatif ; lors d’un danger les amygdales, structures cérébrales sous-corticales qui contrôlent les
réponses émotionnelles et la mémoire émotionnelle implicite sont activées et vont, avant même que
le cortex sensoriel et associatif soit informé et puisse lire et interpréter l’événement, déclencher une
réponse émotionnelle par l’intermédiaire de la production d’adrénaline par le système nerveux autonome
(pour augmenter le rythme et le débit cardiaque la pression artérielle, la fréquence cardiaque
et stimuler la glucogénèse) et de la production de cortisol par l’axe hypothalamo-hypohyso-surrénalien
(pour stimuler la néoglucogénèse) dont le but est de fournir à l’organisme avec de l’oxygène et du glucose disponibles en grande quantité, les ressources en énergie nécessaires aux organes
pour répondre au danger (affrontement ou fuite).

Les amygdales donnent aussi simultanément des
informations émotionnelles au cortex associatif pour qu’il puisse en tenir compte afin d’ analyser le
danger et de prendre des décisions et à l’hippocampe, qui est le “logiciel” indispensable pour traiter
et stocker les souvenirs et les apprentissages et aller les rechercher ensuite.

Une fois les amygdales
“allumées” elles ne peuvent se moduler ou s’éteindre que par l’action du cortex associatif et de
son travail d’analyse et de prise de décisions, aidé en cela par la “banque de données” de souvenirs
d’apprentissage et de repères spatio-temporels que lui a fourni l’hippocampe.

Lors de violences
extrêmes, incompréhensibles, confrontant à l’implacable entreprise de destruction de l’agresseur, à
sa mort imminente, sans échappatoire possible avec une impuissance totale et faisant s’effondrer
toute les certitudes acquises, le cortex et l’hippocampe sont dans l’incapacité de se représenter
l’événement, de l’intégrer et de relier à des connaissances ou des repères acquis et donc de moduler
ou d’éteindre les amygdales : la réponse émotionnelle reste maximale et les taux d’adrénaline et
de cortisol deviennent toxiques pour l’organisme, toxicité cardiaque et vasculaire pour l’adrénaline
(risque d’infarctus du myocarde de stress et d’hypertension maligne), toxicité neurologique
pour le cortisol (risque épileptique et de mort neuronale par apoptose pouvant aller jusqu’à 30% du
volume de certaines structures, hippocampe et cortex préfrontal), véritable “survoltage” confrontant
à un risque de mort imminente qui entraîne la mise en place d’une voie de secours exceptionnelle
qui va faire disjoncter le circuit limbique , déconnecter les amygdales et éteindre la réponse
émotionnelle grâce à la secrétion par le cerveau de drogues dissociantes endogènes, endorphines et
drogues “kétamine-like” (des antagonistes des récepteurs NMDA du système glutamatergique).

Les
amygdales sont éteintes et malgré les violences qui se poursuivent il n’y a plus de réponse émotionnelle
donc plus de risque vital, plus de souffrance physique les endorphines produisant une analgésie.

Les amygdales sont déconnectées des hippocampes, la mémoire émotionelle ne va pas pouvoir
être traitée et intégrée et va rester piégée : c’est la mémoire traumatique ; les amygdales sont déconnectées
du cortex qui ne reçoit plus d’information émotionnelle les stimuli traumatiques vont continuer
d’arriver au cortex sensoriel mais ils vont être traités sans connotation émotionnelle et sans
souffrance physique ce qui va donner une impression d’étrangeté, d’irréalité, de dépersonnalisation,
d’être spectateur des événements, les drogues “kétamine-like” de plus entraînent des sensations de
transformations corporelles et de distorsions spatio-temporelles : c’est la dissociation péri-traumatique.

Au total le risque vital lié au stress extrême généré par les violences est évité au prix
d’une disjonction responsable d’une mémoire traumatique et de symptômes dissociatifs.

Pour éviter de déclencher la mémoire traumatique des conduites de contrôle et d’évitement vont
ensuite être mis en place par la victime.

Mais quand ces conduites ne suffisent plus et que la mémoire
traumatique “explose” entraînant détresse, terreur et angoisse insupportables, le plus souvent
seules des conduites “d’auto-traitement” dissociantes dont la victime a fait l’expérience de leur
efficacité vont pouvoir calmer l’état de détresse.

Il s’agit alors de redéclencher la disjonction du circuit
émotionnel en augmentant le niveau de stress pour recréer un niveau de survoltage suffisant,
par des conduites agressives contre soi-même (tentatives de suicide, auto-mutilations) ou contre autrui,
des conduites à risque de mise en danger, des prises de produits excitants (amphétamines) ou
en le déclenchant directement par des drogues dissociantes (alcool, cannabis, héroïne....).

Cette disjonction
provoquée va entraîner une anesthésie affective et physique, une dissociation et calmer
l’angoisse, mais elle va aussi recharger et aggraver la mémoire traumatique et créer une dépendance
aux drogues dissociantes.

Ces conduites dissociantes qui s’imposent sont à la fois paradoxales et
déroutantes, douloureuses et incompréhensibles pour les victimes et pour les professionnels qui s’en
occupent, elles sont responsables de sentiments de culpabilité, de honte, d’étrangeté, de dépersonnalisation et d’une vulnérabilité accrue face au monde extérieur et plus particulièrement face aux
agresseurs, lesquels connaissent bien par expériences ces phénomènes dont ils profitent pour assurer
leur emprise sur les victimes et pour les instrumentaliser (ils sont eux-mêmes aux prises avec une
mémoire traumatique et ils utilisent les victimes pour gérer à leur place les conduites d’évitement et
pour se dissocier grâce aux explosions de violence qu’ils leur font subir, ce qui permet aux agresseurs
de s’anesthésier, les victimes étant leur “drogue”) .

La prise en charge va à la fois aider les victimes à sortir de leur isolement, à mieux se comprendre,
à retrouver une dignité, à se sentir soulagées, déculpabilisées et à reprendre espoir.

Cette amélioration
se fait en identifiant les violences, en permettant aux victimes de comprendre l’origine de leur
souffrance, de faire des liens entre les violences et leurs symptômes en comprenant les mécanismes
neuro-biologiques et psychologiques des psychotraumatismes, en “revisitant” les violences en ouvrant
toutes les portes que nous offre les manifestations de la mémoire traumatique (véritable témoin
de l’horreur indicible vécue).

Il s’agit de réunir et en replacer toutes les pièces isolées qui vont
permettre de reconstruire l’événement traumatique avec cette fois-ci un accompagnement, une
chronologie retrouvée et une élaboration de grilles de lecture, de représentations, d’interprétation et
d’intégration qui vont être efficaces pour moduler et éteindre les réponses émotionnelles sans le recours
à la disjonction et rendre ainsi inutiles les conduites d’évitement et les conduites dissociantes.
La mémoire traumatique “déminée”, “désamorcée” va pouvoir être réintégrée dans une mémoire
explicite narrative et autobiographique libérant l’espace psychique, l’arrêt des conduites dissociantes
va permettre une récupération neurologique (neurogénèse) et la récupération d’un sentiment de
cohérence et d’unité, de “retrouvaille avec soi-même”.


MURIEL SALMONA : psychiatre-psychothérapeute spécialisée en psychotraumatologie.

Responsable de l’Antenne 92 de l’Institut de victimologie

Présidente de l’association mémoire traumatique et victimologie