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Violences faites aux femmes

va-t-on enfin tenir compte de la violence morale ???

Une mission d’évaluation à l’ASSEMBLEE NATIONALE

mardi 14 avril 2009, par Jeanne HILLION

Une Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, a été créée par la conférence des présidents le 2 décembre 2008 -

La Conférence des Présidents a décidé le 3 décembre 2008, la création d’une mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes.

Espérons évidemment que les conclusions aboutiront à la prise en compte des violences psychologiques en général. Celles faites au femmes, celles faites aux hommes, celles faites aux enfants.

La mission a pour tâche d’évaluer ces violences, au sein du foyer mais aussi dans l’espace public et sur les lieux de travail ainsi que d’apprécier la réponse qui leur est apportée.

La mission va s’attacher particulièrement à l’examen de l’application des lois existantes et de la mise en oeuvre des plans de lutte contre les violences qui ont été élaborés, dans la perspective de formuler des propositions pour améliorer la réponse pénale et répondre plus efficacement aux situations de détresse et aux multiples problèmes que rencontrent les femmes victimes de violence.

Plus bas vous pourrez découvrir la composition de la commission, lire les autres comptes-rendus ou voir les vidéos mais avant cela, nous vous proposons de lire l’audition de MF HIRIGOYEN qui pose le problème des violences psychologiques :

SI vous souhaitez télécharger cette audition cliquez ICI
La mission auditionné Mme Marie-France Hirigoyen, médecin, psychiatre et psychothérapeute

M. Henri Jibrayel, président. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Marie-France Hirigoyen, psychiatre, psychanalyste et psychothérapeute et auteur de nombreux ouvrages dont Femmes sous emprise. Ce dernier analyse le processus conduisant l’un des membres d’un couple – la femme dans l’immense majorité des cas – à subir des violences de la part de l’autre, violences physiques ou psychologiques.

Mme Marie-France Hirigoyen. Je m’exprimerai en ma qualité de clinicienne, qui reçoit de nombreuses femmes victimes de violences, issues de tous les milieux sociaux et je voudrais, en préalable, souligner quelques points.

J’aimerais d’abord que, dans les campagnes de prévention, on ne se limite pas à parler des femmes battues et que l’on ne mette pas seulement l’accent sur les femmes qui meurent sous les coups. En effet, la violence physique est un épiphénomène dans une relation violente en elle-même. Il faut parler de la violence conjugale de manière plus globale qu’on ne le fait généralement, en prenant en compte la violence psychologique qui a des conséquences dévastatrices sur la santé physique et mentale des femmes. Une étude de l’OMS montre ainsi que les femmes victimes de violences conjugales perdent une à quatre années de vie en bonne santé.

L’Enquête nationale sur les violences envers les femmes a montré que dans un quart des cas, le premier interlocuteur des femmes victimes de violences conjugales est un médecin. Or, il n’y a en France ni assez d’unités médico-judiciaires, ni assez de médecins formés à la victimologie. Et pour cause, aucun enseignement à ce sujet n’est dispensé aux étudiants en médecine lors de leur formation initiale sinon de manière optionnelle. De surcroît, les médecins, et même les psychiatres, ne connaissent pas toujours très bien le phénomène d’emprise.

Les choses commencent à évoluer : depuis l’an dernier, un enseignement a été mis en place pour des médecins généralistes et des spécialistes dans le cadre de la formation continue. Mais cet enseignement se fait par petits groupes, nous ne sommes que deux pour Paris et sa région, et nos confrères ne sont pas plus nombreux en province ; il faudra donc beaucoup de temps. Par ailleurs, cette formation mérite de s’étendre à différentes spécialités : les dermatologues, par exemple qui devraient être amenés à s’interroger sur les raisons de l’apparition d’un eczéma, mais aussi les gynécologues-obstétriciens et les échographistes. Une étude portant sur des femmes africaines publiée dans The Lancet montre que des femmes enceintes soumises à des violences psychologiques ont 50 % de plus de risque de perdre leur bébé que les autres, et que la violence de ce type est plus abortive que la violence physique.

La plupart des médecins ne savent pas rédiger des certificats médicaux dans de tels cas – ou plutôt, ils se méfient, et à juste titre car les hommes violents sont très souvent procéduriers. Les médecins savent que ces hommes risquent de porter plainte et que, même si ces plaintes n’aboutissent pas, il faudra faire appel à un avocat, répondre aux questions du Conseil de l’Ordre, constituer un dossier…

Dans les commissariats et les gendarmeries, des progrès considérables ont été réalisés au cours des dernières années dans l’accueil des femmes victimes de violences conjugales ; elles y trouvent désormais écoute et conseils, et je n’ai pas eu connaissance récemment de femmes mal reçues.

Les associations ont toujours joué un rôle éminent en cette matière, et si l’on parle de ce sujet aujourd’hui, c’est grâce à elles. Cependant, elles ont une connotation sociale, en ce que l’on amalgame très souvent femmes battues et catégories sociales défavorisées ; pourtant, des femmes sont victimes de violences de la part de leur conjoint dans tous les milieux sociaux. J’ai actuellement en consultation une femme médecin soumise aux violences de son mari lui-même médecin. Les femmes de notaires ou de magistrats n’osent pas se rendre dans des foyers d’accueil, et il est aussi difficile pour elles de se confier à une association.

D’autre part, les associations concernées aident dans l’urgence et peuvent se constituer partie civile, mais il vient un moment où la femme se retrouve seule et ne sait plus que faire.

Or le contrôle financier de la conjointe participe également des violences psychologiques : des femmes qui travaillent se retrouvent sans autonomie financière car elles n’ont pas accès à la carte bancaire liée à un compte joint, ou bien il ne leur est consenti qu’un débit très limité. Ce schéma est très fréquent. Le contrôle financier est une stratégie délibérée. Le mari veut tout contrôler de sa femme. Lors de l’élaboration du programme européen Daphné, j’ai eu l’occasion de dire qu’il serait judicieux d’allouer un prêt aux femmes dans cette situation pour leur permettre de redémarrer une activité et d’en vivre, avant même que les procédures judiciaires ne soient parvenues à leur terme.

Un homme qui agit de la sorte impose un contrôle total et un isolement complet à sa femme. Le déni de l’autonomie financière à la conjointe fait partie du processus de violence psychologique.

J’ai ainsi reçu la semaine dernière en consultation une femme cadre supérieur dont le mari est notaire. Je la suis depuis un an ; son mari la malmène et l’injurie et, quand elle lui résiste, il la frappe. Ensuite, il redevient « gentil », mais continue de l’humilier. Cette femme ne consulte pas avec l’intention de se séparer de ce mari violent mais pour savoir comment procéder pour éviter de « l’énerver » : selon elle, si son époux la frappe, c’est qu’elle induit ce comportement en lui résistant.

Mme Catherine Quéré. Pourquoi reste-t-elle ?

Mme Marie-France Hirigoyen. Vous abordez la question du ressort de la violence psychologique. Cette femme a déjà procédé à plusieurs mains courantes mais elle n’a jamais porté plainte car, comme d’autres, elle a peur que son mari soit emprisonné.

M. Henri Jibrayel, président. Le mari sait-il que sa femme s’est rendue plusieurs fois au commissariat ?

Mme Marie-France Hirigoyen. Oui. Il n’en est que plus menaçant et elle a de plus en plus peur.

M. Henri Jibrayel, président. Comment articuler l’obligation de respecter le secret médical et celle d’agir devant de telles révélations ?

Mme Marie-France Hirigoyen. Depuis un an que cette femme vient me voir, elle est allée plusieurs fois au commissariat et a consulté des avocats. Mais, comme toutes les femmes victimes de violences psychologiques, elle est sous emprise et l’on ne peut pousser les femmes dans cette situation à partir trop vite. Il faut d’abord qu’elles comprennent que leur situation est intenable. J’utilise une comparaison simple, en leur faisant observer que si elles se trouvent sous une gouttière qui fuit, elles font spontanément un pas de côté… Les femmes qui consultent se plaignent mais elles n’ont pas tout de suite l’énergie nécessaire pour partir.

Mme Catherine Quéré. Et qu’en est-il des enfants ?

Mme Marie-France Hirigoyen. Le mari violent manipule parfois les enfants en faisant jouer à l’une des filles, par exemple, le rôle de petite femme de la maison.

Il faut souligner qu’il n’y a jamais violence physique s’il n’y a pas eu auparavant violence psychologique. Un homme qui frappe sa femme n’a pas pour objectif qu’elle ait un œil au beurre noir ; il veut la soumettre et qu’elle soit docile. En réalité, la violence physique surgit lorsque l’homme perd le contrôle de sa femme. Après la première agression physique, il n’est pas besoin de recommencer à frapper : la menace suffit. Les femmes vivent dans la peur, mais après ces premiers coups, la violence physique est exceptionnelle. Demeure la violence psychologique ; la menace en est une forme. Toutes les femmes qui subissent ces agissements disent que les traces des violences physiques disparaissent mais que les humiliations laissent des traces indélébiles. On notera à ce sujet les conclusions d’une étude américaine selon lesquelles la moitié des femmes hospitalisées dans des services de psychiatrie sont maltraitées par leur conjoint.

Les procédés de violences sont stéréotypés. Je citerai en premier lieu le contrôle, c’est-à-dire la possession et la surveillance, qui s’exerce au prétexte de la jalousie : « Je t’aime, je veux savoir ce que tu fais ». La femme est l’objet d’une suspicion constante, l’homme lui attribuant des intentions non fondées.

La violence psychologique se caractérise aussi par un isolement imposé. La femme est éloignée de sa famille et de ses amis et, très souvent, empêchée de travailler correctement, pour qu’elle ne soit pas trop indépendante.

La violence psychologique se caractérise encore par des atteintes à l’identité, par des humiliations, le dénigrement, le mépris. Elle prend aussi la forme du harcèlement : l’homme répète indéfiniment la même chose jusqu’à ce que la femme cède. Selon les récits qui me sont faits, cela se passe très souvent au cours de trajets en voiture, l’homme contraignant la femme à dire ce qu’il veut lui faire dire en conduisant de plus en plus vite et en brandissant la menace de précipiter la voiture dans le décor.

Ces comportements s’accentuent lorsque la femme menace de partir, et quand elle est effectivement partie. On assiste alors à du harcèlement par intrusion, des appels téléphoniques incessants au cours desquels l’homme alterne gentillesses et menaces : « Je t’aime, je veux que tu reviennes », puis : « Reviens, sinon je te fais la peau ».

La violence psychologique, ce sont aussi les menaces – menace de coups, menace de représailles sur la famille, menace de laisser la femme sans argent, menace de ne plus la laisser voir ses enfants si elle part, menace de s’en prendre aux enfants eux-mêmes, intimidations en tous genres… L’homme fait régner une atmosphère de peur ; la femme en est fragilisée et paralysée. Elle l’est d’autant plus que le conjoint vise les failles émotionnelles. Ainsi, une femme vivait dans la terreur car son mari la menaçait de révéler un secret de famille : un des membres de sa famille avait été pédophile, et l’époux martelait que si cela se savait, on lui retirerait la garde de ses enfants. Cette femme était magistrate ; elle n’aurait pas dû se laisser impressionner. Mais la violence psychologique plonge celles qui en sont victimes dans le doute et la confusion au point que la peur les empêche de raisonner.

À cela s’ajoute un renversement permanent de la culpabilité : « Si je me comporte ainsi, c’est que tu n’es pas ce que tu devrais être », dit souvent l’homme agresseur. J’ai en tête le cas d’une femme soumise à la violence d’un mari haut fonctionnaire et qui a déposé plainte contre lui. À dater de ce moment, le discours de l’homme a été : « À cause de toi, je risque de perdre mon emploi et d’aller en prison, et tu n’auras plus d’argent ».

Plus la violence dure et moins la femme est capable de s’extraire de cette situation. Ici apparaît le phénomène dit « d’impuissance apprise » que Henri Laborit a le pr