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HURNI M., STOLL G., La haine de l’amour : la perversion du lien

mercredi 20 octobre 2004, par Jeanne HILLION

Les auteurs, GIOVANNA STOLL ET MAURICE HURNI, sont psychiatres, psychanalystes et sexologues. Ils pratiquent depuis quinze ans les thérapies de couple> naguère en institution hospitalière, actuellement en privé. Après avoir été responsable de la Consultation de sexologie du CHUV à Lausanne, le docteur HURNI, dirige depuis 1990 le Service de Consultation conjugale de la Fondation du Centre médico-social PRO FAMILIA, à Lausanne.

Couverture
La Haine de l’amour : la perversion du lien

Les auteurs décrivent le sujet encore largement méconnu de la relation de couple, de sa pathologie et de sa thérapie. Quittant les chemins battus, ils se sont fondés sur une observation minutieuse et sans préjugés de la clinique. Leurs résultats mettent au jour non seulement une foule de mécanismes relationnels jusqu’ici inconnus ou banalisés (restés dans l’ombre), mais aussi le fonctionnement psychique individuel aberrant qui les sous-tend. Le lecteur est amené à les suivre pas à pas dans le questionnement sur la genèse d’une telle monstruosité, à traverser des apparences souvent très trompeuses pour parvenir aux territoires sombres, dangereux et destructeurs de la relation perverse du couple. Les réflexions des auteurs sont étayées par de nombreux cas cliniques minutieusement décrits afin d’en saisir aussi exactement que possible les rouages ou l’abord thérapeutique. En étendant leurs concepts aux institutions et à la société, ils soulèvent des questions qui dépassent le champ strictement clinique et interpellent aussi des lecteurs d’autres horizons.

"J’invite le lecteur à lire le livre de MAURICE HURNÏ ET GIOVANNA STOLL. Je l’invite avec chaleur. De la chaleur certes il en faut, dans un domaine clinique tel que celui des perversions narcissiques où l’oxygène est rare et le climat glacial. C’est une face cachée des relations humaines qui nous est ici décrite. Ici, le lien cède la place à son contraire, qui est la ligature et l’oppression. L’œdipe cède la place à son contraire qui est l’inceste en acte. Et l’amour cède la place à son envers, la haine."

P-C. RACAMIER

- On gagnera également à parcourir Saccages psychiques au quotidien : perversion narcissique dans les familles toujours de Maurice Hurni,Giovanna Stoll.

si on ne le trouve pas format papier, on peut parcourir la plupart des pages en suivant ce lien

et notamment
le Tableau comparatif des personnalités névrotiques et perverses passionnant

172

Lorsque nous avançons que le patient pervers veut utiliser le médecin pour quelque chose, nous entendons par exemple les patients qui ne consultent le psychiatre que pour avoir un argument à faire valoir lors d’un procès imminent (dont ils ont soigneusement caché l’existence), mais aussi,
plus subtilement, ceux que nous avons déjà évoqués et qui utilisent leur statut de malade pour
exploiter ou terroriser leur entourage. La demande d’aide est, elle, une expérience existentielle
inaccessible aux pervers qui n’y voient qu’un assujettissement face à un interlocuteur qui ne
manquerait pas d’en abuser (comme ils l’ont malheureusement souvent vécu avec leurs parents). En
ce qui concerne la relation, elle est dévitalisée, vue sous un angle uniquement fonctionnel, voire
mercantile. Nous devons malheureusement admettre qu’il s’agit là, sans conteste, de la vue de la
médecine qui prévaut chez bon nombre de nos partenaires politiques ou des compagnies
d’assurances.

Concernant les conflits d’intérêts, nous entendons des situations embarrassantes,malheureusement inévitables, surtout dans une petite ville, dans lesquelles les genres se trouvent
mélangés. Les pervers en tout cas sont friands de toutes situations où le médecin se trouve par
exemple l’obligé économique, politique, le locataire ou l’ami - et, pourquoi pas, tout cela à la
fois ! Ce sujet est particulièrement épineux dans le cas de traitements de personnes perverses,
influentes ou haut placées, qui pourront être d’autant plus en rage contre les thérapeutes que le
traitement s’est révélé fructueux et qui pourront mettre à l’oeuvre des moyens considérables pour en
effacer la réalité.

Enfin, concernant la terminaison d’une relation médecin-malade, autant elle peut se révéler une
conclusion claire, convenue de part et d’autre, de cette association, autant, dans les situations de
perversion, elle peut se prolonger de façon désastreuse : le patient cherchera à détruire
rétroactivement soit la nature des soins reçus, soit leur qualité (certains patients pervers vont
jusqu’à dénier l’existence même des consultations). Certains s’efforcent d’instaurer une relation sado-masochique concrète avec leur thérapeute, à travers la contestation de ses
honoraires ou d’autres récriminations. Contrairement aux paranoïaques qui vont mettre en route
une procédure délirante de revendications réparatrices, le pervers, moins organisé mais plus
incisif, va plutôt chercher à compromettre l’identité du .médecin, sa dignité, ses capacités ou
sa réputation. À ces fins, il aura tendance à recourir à la diffamation, aux médisances, aux
calomnies plutôt qu’à de véritables procédures juridiques.

***

Quelques attitudes thérapeutiques inadéquates par rapport à la pathologie de
la relation perverse

Examinons en premier lieu quels sont les attitudes ou modes de faire qui se sont révélés
inadaptés à cette pathologie.

Qu’en est-il tout d’abord du soutien narcissique, ou soutien du Moi, tel qu’il se justifie face à
des patients déprimés, dévalorisés ou coupables ? Le réconfort, l’approbation manifeste ou tacite,
plus ou moins « bienveillante » ne sont certainement pas de mise face à des comportements en
séance et à des récits d’exactions, violents ou déprédateurs. Cette attitude se fonderait sur des
prémisses de dépression qui, à première vue en tout cas, manquent au tableau pervers. (Beaucoup a
été écrit sur une probable dépression essentielle ou mélancolie qui figurerait - très loin - à l’arrièreplan
de ces symptômes. Ce point de vue mériterait d’être étayé 1 ; il devrait dans tous les cas être
bien distingué des effets d’un contre-transfert mal maîtrisé, qui tendrait fallacieusement à nous faire
voir, ou pressentir, de la dépression, là où il n’y en a pas.) Ce à quoi nous avons plutôt affaire dans
de telles consultations, ainsi que l’illustre la vignette clinique, ce sont des plaintes, des griefs
concernant un partenaire rétif à se conformer aux injonctions de l’autre, ou plus précisément à
endosser les projections qui lui sont faites. Ce sont par conséquent des affects de rage qui sont
mobilisés en fonction de l’impossibilité ou de la difficulté d’expulser des objets internes sur l’Autre.

Ces affects peuvent éventuellement alterner avec un désespoir de veine tout aussi narcissique. Ces
partenaires sont insatisfaits de l’Autre qui, pour eux, est la cause unique de leur détresse. La source
de leur inconfort psychique est placée totalement, et avec véhémence, à l’extérieur d’euxmêmes.

On pourrait dire qu’il s’agit d’un refus catégorique, radical, d’une quelconque souffrance
interne. D’où leur détermination à écarter toute remise en question d’eux-mêmes.

1 Il l’a été récemment, par Sylvie Faure-Pragier qui a publié le récit de la cure d’un pervers, qui tendrait à corroborer l’hypothèse de sentiments dépressifs majeurs (Faure 2000).

Hurni et Stoll Saccages psychiques au quotidien extraits 4

D’autres visées, légitimes dans un registre névrotique, nous semblent inopportunes face à des
interactions perverses. Ainsi en irait-il du soulagement d’une culpabilité (absente, comme c’était le
cas chez les deux conjoints de notre vignette) ou l’interprétation de désirs inconscients (attitude
qui ne tiendrait (184) pas compte du fait que les désirs concernant la relation, chez les pervers, sont
tout à fait conscients).

En deuxième lieu, nous en sommes arrivés à stigmatiser une autre attitude, pourtant naturelle,
particulièrement depuis l’enseignement de la psychanalyse, celle du silence et du retrait. Autant
cette conduite trouve sa valeur face à un patient névrotique en quête de fantasmes refoulés, autant
elle se révèle désastreuse, à notre avis, face à des pervers agissants. Le dicton qui veut que « Qui ne
dit mot consent » est tout à fait applicable à ces interactions et si un thérapeute entend sans réagir
que, par exemple, des parents ont maltraité leur enfant, son silence aura évidemment valeur
d’acquiescement, donc de complicité agie - le silence équivalant là à un acting-in.

Les systémiciens ont souvent préconisé, dans des situations cliniques fort diverses, ce qu’ils ont
appelé la « position down », évitement d’un piège tendu par certains patients qui délégueraient au
thérapeute une toute-puissance paralysante. Cette attitude, judicieuse en d’autres circonstances, ne
semble pas opportune ici et risque de- fournir à des pervers bien mieux rodés que nous une
occasion inutile de discréditer le thérapeute, empêtré masochiquement dans ses propres filets.

Dans ce même sens, nous avons relevé dans notre préambule la virulence des attaques à la
pensée des soignants. Comme l’a relevé Racamier (Racamier 1992a), il arrive souvent que les
thérapeutes se sentent égarés dans leur compréhension, confondent les générations, les temps, les
acteurs ou les lieux. Ce constat ne devrait pas être endossé par le soignant, mais tout de suite, dans
le sens d’une interprétation transférentielle, mis en rapport avec les manoeuvres émanant des
patients.

Le nivellement affectif pathognomonique des récits pervers pourrait encore induire les
thérapeutes à opérer un « prêt d’affects », autrement dit, à incarner une sorte de Moi auxiliaire,
partie du Moi vivante mais profondément réprimée (Amati 1989).

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Ils pourraient ainsi être amenés à exprimer l’horreur, l’étonnement, la joie ou d’autres sentiments
qui font défaut au discours des patients. Cette modalité d’intervention pourrait être comparée au
« prêt » ou à l’ « injection » de fantasmes qui a été parfois préconisée pour des patients à la pensée
opératoire. Ce mode de faire nous semble très risqué et nous ne l’envisageons que dans certaines
situations précises ayant trait au domaine éthique (cf., plus loin, « intervention éthique »).

La possibilité d’un dérapage fâcheux semble exister chez des thérapeutes novices en matière
de perversion - comme elle existe d’ailleurs chez tout un chacun : celle d’être entraîné à devenir
soi-même pervers. Des réactions sadiques sont particulièrement fréquentes. Loin d’être
thérapeutiques, elles signent en réalité l’aboutissement du projet pervers, celle de pervertir le
thérapeute.

Les pervers excellent dans les agirs et, plus encore, dans le faire-agir (Racamier 1993). C’est
avec cette tonalité que s’instaurent la plupart des traitements. L’établissement d’un cadre est, avec
ces patients, tout sauf chose aisée. Ces agissements demandent aux thérapeutes une grande
maîtrise de leur contre-transfert : ainsi, par exemple, le patient pourra-t-il demander au
thérapeute de le rappeler chez lui pour fixer un rendez-vous, tenter d’induire une malversation
vis-à-vis de l’assurance-maladie, modifier l’organisation du travail des thérapeutes par rapport
aux horaires habituels des rendez-vous ; cf. dans notre exemple, l’urgence de la consultation de
couple, l’utilisation de la lettre - jamais lue -, etc. Ce sont les patients qui tenteront de déterminer
les sujets abordés ou de distordre la relation thérapeutique en relation sado-masochique
(« puisque vous ne voulez pas être plus souple, je suis bien obligé de me soumettre »).

Hurni et Stoll Saccages psychiques au quotidien extraits 5


Langue : Français
Éditeur : L’Harmattan (30 octobre 1996)
Collection : Psychanalyse et civilisations
Format : Broché - 386 pages
ISBN : 2738444377
Dimensions (en cm) : 14 x 22