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12ème semaine de la Presse dans l’école

La justice est-elle juste ?

jeudi 17 février 2005, par Jeanne HILLION

12ème semaine de la Presse dans l’école
"Presse et Justice"

Le livret "Presse et Justice" à l’usage des enseignants

À l’occasion de la semaine de la Presse dans l’École nous vous proposons des pistes de réflexion et des problématiques qui vous donneront les moyens de sensibiliser les élèves au traitement de la justice dans les médias et de leurs relations au quotidien.
Plutôt que de présenter l’organisation de la justice et décrire la presse et les médias, les auteurs ont tenté un pari, en proposant des thématiques qui mettent en perspectives les rapports parfois contradictoires entre la justice et la presse et leurs logiques de fonctionnement.
Les pistes pédagogiques, les repères bibliographiques et les renvois sur les sites Internet vous permettront d’accéder à des informations complémentaires.

Ce livret a été écrit "à plusieurs mains", par des professionnels du ministère de la Justice, une journaliste de l’Agence France presse AFP, Dominique Vernier, et des enseignants du ministère de l’Éducation nationale (CLEMI).

Avant-propos

Démocratie, Presse et Justice

La démocratie dans une société ne se résume pas seulement aux règles d’exercice et de contrôle d’un pouvoir délégué par le peuple. C’est aussi la conviction qu’il s’agit d’un bien commun, une exigence de transparence dans le fonctionnement des institutions et la conscience d’avoir des lois qui définissent les droits et les devoirs de chacun, s’imposent à tous et évoluent. Sur ces différents registres, la Justice et la Presse jouent des partitions qui s’opposent, s’entrecroisent et parfois convergent.
En France, l’organisation de l’exercice du pouvoir résulte de la Constitution qui détermine le rôle de l’exécutif (Président de la République, gouvernement), du législatif (Assemblée nationale, Sénat) de l’Autorité judiciaire et du Conseil constitutionnel.
Dans une société démocratique, la Justice est une forme essentielle de l’exercice du pouvoir : elle a pour fonction d’intervenir de manière contraignante, en tant qu’autorité indépendante, pour, selon l’expression de René GIRARD*, " rationaliser la vengeance ". Rendue " au nom du peuple français ", elle veille au respect des lois, règle des conflits, prononce des sanctions. Son caractère démocratique résulte de son indépendance du pouvoir exécutif et de sa soumission aux lois de la République ; elle concerne tous les citoyens.
Face à un système constitutionnel qui régule les institutions selon les principes de la démocratie, la presse informe, critique, dénonce les abus, éclaire les décisions et se fait l’écho par son pluralisme des différents groupes sociaux. Elle permet ainsi aux citoyens de se forger leur propre point de vue. Pour exercer pleinement cette vigilance, elle doit être libre. Mais sa logique, celle de l’événement, nécessite la rapidité, et la presse subit des contraintes d’ordre commercial dans un environnement concurrentiel. Cette logique et ces contraintes peuvent entraîner des dérives.
Liberté fondamentale, la liberté de la presse n’est cependant pas absolue ; elle est soumise à la Loi qui en restreint l’exercice pour prévenir, juger et réparer les abus de la parole, de l’écrit ou de l’image. La Justice peut donc être amenée à la contrôler dans le cadre de différents textes (Loi du 29 Juillet 1881, Code Civil, Code Pénal) et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
A l’inverse, la presse fait connaître et commente la Justice, à l’occasion d’une affaire, s’indigne de la lenteur de certaines procédures, analyse les réformes, la situation des prisons...
Depuis quelques années, l’exigence d’une plus grande transparence dans le fonctionnement des institutions est apparue dans le débat public avec force, par les révélations médiatiques et la confirmation devant la justice de mécanismes de corruption impliquant des chefs d’entreprise, des partis politiques et certains hommes politiques.
Face à cette situation qui ébranle le fonctionnement et l’esprit de notre démocratie, les politiques ont réagi par de nouvelles lois et des commissions d’enquête. La presse et la justice ont été prises à partie pour ne pas respecter les textes et les principes déontologiques qui régissent leur activité, et en particulier la présomption d’innocence, sur un terrain qui leur est commun : la recherche de la vérité.

Mais, si pour la Presse et la Justice s’impose la transparence, celle-ci n’a pas la même signification pour l’une et l’autre. Une information toujours plus rapide et plus complète que celle de ses concurrents est l’objectif du journaliste. La transparence de l’information est immédiate. Le danger est alors que la force émotive des images et le récit sur le vif ne fausse dans l’opinion publique l’appréciation de faits qui seront le cas échéant jugés par la Justice.
Dès lors, la responsabilité du journaliste dans la restitution exacte de faits mettant en cause l’honneur de personnes est grande. Le devoir d’informer doit respecter des règles et rien n’autorise la presse, au nom de la transparence, à se substituer à la Justice.

Pour rechercher la vérité dans une affaire pénale, le juge analyse des faits pour les qualifier au regard du droit. Il aura des pouvoirs importants (incarcération, perquisitions, saisie de documents...), devra respecter des règles pour préserver les droits des personnes mises en cause et des victimes, et surtout, travaillera dans le cadre d’un secret prévu par les textes pour faire respecter la présomption d’innocence et la recherche des preuves. Son objectif est de constituer un dossier complet "à charge et à décharge" examiné plus tard lors d’un procès. Le procès, moment privilégié d’une transparence, donnera sens à ce qui a été légitimement établi, dans un espace public, et selon des règles assurant le contradictoire.
Pour la Justice, la transparence, selon la formule d’Antoine GARAPON* " n’est pas tout savoir mais savoir ce qui a été légitimement établi ".
Journalistes et juges doivent donc respecter des textes mais aussi une éthique professionnelle.

Enfin, l’information de nos concitoyens sur les lois en vigueur, les décisions de justice et les sanctions prononcées est essentielle. Le travail de la justice et de la presse, son relais obligé favorise cette conscience de lois communes.
La Presse, qui exprime les aspirations de l’opinion publique pour une loi applicable à tous, hommes politiques, responsables d’entreprise, hauts fonctionnaires..., qui rend compte de l’émotion de victimes de drames collectifs (FURIANI, sang contaminé, amiante...), contribue aussi à créer une conscience collective. Elle traduit et induit alors ces aspirations, qui pour être compréhensibles ne peuvent trouver que des réponses relatives devant une Justice humaine qui fonctionne dans le cadre des lois de la République.
Ainsi, la loi pénale qui envahit les champs politiques et administratifs devrait rester le régulateur subsidiaire qui sanctionne les violations les plus graves de la Loi au lieu d’intervenir par défaut en raison de la carence des autres procédures de contrôle et de la disparition des responsabilités civiles, administratives ou politiques.

Il devient indispensable de communiquer à nouveau sur la recherche d’un sens commun, sur les réformes pour prévenir la corruption, sur l’évolution souhaitable de nos institutions. La démocratie reste en équilibre si elle est en mouvement.
Ce débat à venir a été préparé par l’intervention d’une presse libre et d’une justice indépendante. Mais leurs chemins se sépareront à nouveau, car la justice n’est pas chargée des questions relevant de la fonction politique, du jugement souverain des citoyens et de la liberté de l’information.

1. La justice et la presse : deux modes d’expression de la démocratie

La Justice et la Presse sont indispensables dans une démocratie.
Il s’agit de présenter les missions, les modes et les règles de fonctionnement de la presse et de la Justice, leurs logiques et contraintes, pour dégager des points communs (information, transparence, publicité...) et faciliter la compréhension de leurs rapports qui peuvent être complémentaires ou antagonistes.

Repères
- Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : articles 5, 8 et 9
- Convention européenne des droits de l’homme : article 6
- Constitution du 4 octobre 1958 : articles 64 et 66
- Code de procédure civile : article 14 ;
- l’organisation de la justice en France

Pistes pédagogiques
Choisir dans le panel des titres de presse proposés à l’occasion de la semaine de la presse, un quotidien national, un quotidien régional et un news magazine.
- A la lecture des Unes, des rubriques, des publicités et des petites annonces dresser le portrait des lecteurs supposés de chacun des titres de presse : la " cible " du média.
- Retrouver les rubriques qui traitent d’affaires judiciaires. Noter les noms de ces rubriques. Sont-ils les mêmes pour tous les titres ?

2. Réalité judiciaire et miroir de l’opinion publique
La réalité de l’activité judiciaire au quotidien n’est pas tout à fait celle des journaux ou de la télévision. Il s’agira de repérer à partir d’une analyse de la presse écrite et audiovisuelle et des séries TV de quelle justice parlent les médias (justice civile, justice pénale, réformes...) et de vérifier si cette image correspond à la justice au quotidien, en s’appuyant sur les chiffres statistiques de son activité.

Repère
- les chiffres clés de la justice

Pistes pédagogiques :

Rassembler sur une semaine des quotidiens nationaux et régionaux.
- Quel est le nombre d’affaires relevant de la justice pénale (sous quelle rubrique) ?
- Quel est le nombre d’affaires relevant de la justice civile (sous quelle rubrique) ?
- Comparer entre la presse régionale et la presse nationale la part réservée au traitement des affaires pénales et civiles.

3. La justice est-elle juste ?
C’est sans doute la question la plus fréquente que pose les jeunes. Il s’agit de répondre aux interrogations des élèves en identifiant leur vision du juste et de l’injuste, celle de la presse et en exposant comment la justice rend des décisions et applique le droit aux différents cas qui lui sont soumis.

Repères
- Code de procédure pénale : article 353 (intime conviction), article 304 (serment des jurés)
- Code pénal : article 111-2 et suivants (légalité des infractions et des peines)
- Code de procédure civile : article 527 et s. (appel en matière civile)
- Convention européenne des droits de l’homme : articles 7 et 13

Pistes pédagogiques

Retrouver dans la presse de la semaine écoulée des articles relatant des jugements rendus par une cour d’assises, un tribunal correctionnel. Constater qu’un tribunal peut parfois punir plus sévèrement qu’une cour d’assises alors que les peines maximales encourues, lorsqu’on comparait devant la juridiction criminelle sont plus lourdes.

Comparer au cours d’une semaine, le jugement de deux affaires qui paraissent proches a priori (deux meurtres, ou deux viols, ou deux hold-up). Les peines sont-elles les mêmes ? Pourquoi ? Quels sont les éléments pris en compte dans chacun des cas.

4. Justice, presse et évolution de la société

En prise directe avec la vie quotidienne et les débats de la société, Presse et Justice évoluent. A travers une analyse faite de la presse affaires, société, vie quotidienne...), on s’interrogera sur l’influence que peut avoir la Justice sur les médias et sur le rôle de la Presse dans l’évolution du droit.

Repères
Conseil Constitutionnel : décisions du 10.11/10/1984 et du 29/07/1986 Entreprises de presse ; Grandes décisions du Conseil Constitutionnel ; Actualité Juridique de Droit Administratif 1986 page 538
Le Monde 28 octobre 2000 - page 25 Des actions en référé modifiant le contenu de deux magazines télévisés ; Libération 23 mai 2000 et 7 novembre 2000 ;
Transfert N°8 octobre 2000 - Quelles frontières juridiques pour le net ?

Pistes pédagogiques

La presse sportive, et les rubriques sportives de quotidiens sont appréciées des élèves.
- Actuellement des affaires de dopages y sont traitées largement.
- Repérer et analyser les différents types d’articles : angles d’attaque, points de vue privilégiés, vocabulaire...
En quoi ces articles jouent-ils un rôle dans l’opinion ? Peuvent-ils (ou ont-ils pesé) dans les procès en cours ?

5. Le temps de la justice, le temps de la presse

Le temps de la Justice et le temps de la Presse n’ont rien de comparable. Il s’agit d’aborder comment la Justice et la Presse "gèrent" le temps, chacune dans leur domaine d’activité, pour mieux faire comprendre leurs logiques, leurs contraintes, leur mode de fonctionnement et leurs antagonismes.

Repères
- les chiffres clés de la justice (durée moyenne des procédures civile, pénale, administrative)
- Convention européenne des droits de l’homme : article 6 (le délai raisonnable)

Pistes pédagogiques

Rechercher dans la presse quotidienne des articles relatant des procès en cours d’assises. Relever les faits incriminés et leur date, les personnes mises en causes et les peines prononcées. Etablir le temps écoulé entre le moment des faits et la date du jugement.

Choisir une grande affaire qui agite actuellement les médias. Retrouver dans un site de presse l’ensemble des articles archivés concernant cette affaire. Essayer, à la lecture des articles, de retrouver les sources du ou des journalistes qui ont rendu compte de l’affaire.

6. La parole des acteurs de la justice

Régulièrement les acteurs de la Justice sont sollicités par la Presse et s’expriment à travers elle.
A quels moments du processus judiciaire peuvent-ils s’exprimer librement ?
Comment la Presse rend-elle compte de leur travail ?
Quelle est la parole autorisée et l’information interdite ?

Repères :
- Loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes ;
- Publicité des débats :
Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 : article 6-1 ; Code de procédure civile : articles 22, 433 et 435 ; Code de procédure pénale : articles 306, 400 et 535 ;
- Secret professionnel, secret des délibération et secret de l’instruction :
Code pénal : article 226-13 ; Code de procédure pénale : articles 11 et 304 ;
- Devoir de réserve des magistrats :
Ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature : article 43

Piste pédagogique

Travailler sur une série télévisée :
- Actuellement de nombreuses séries françaises rendent compte principalement de la pratique professionnelle des policiers mais aussi des juges et des avocats.
- Il pourrait être intéressant de visionner l’un de ces feuilletons, de construire avec les élèves le portrait d’un de ces héros, et de le confronter avec la réalité et le contenu du métier en invitant un professionnel de la justice.

7. La protection de la vie privée

Principe fondamental, la liberté de la Presse n’en est pas moins absolue.
Il s’agit d’exposer quelles sont ses limites, jusqu’où peut-elle aller dans son rôle d’information lorsqu’elle vise les individus et comment la Justice intervient pour protéger la vie privée et sanctionner les abus.

Repères
- Convention européenne des droits de l’homme : article 10 ;
- Cour Européenne des droits de l’homme. Arrêt Jersild c/Danemark du 23 septembre 1994 ;
- Sondage C.S.A. - L’événement du jeudi, publié dans le numéro 9 du 13 au 19 janvier 2000 ;
- Code civil : article 9
- Code pénal : article 226-1 ;
- Loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes .

Pistes pédagogiques

Essayer de retrouver dans des magazines " people " des exemples de photos posées (tel ministre ou chef d’entreprise en train de faire la cuisine, par exemple) et de photos volées (prises de loin, au téléobjectif, gros grain de la photo, flou, éléments de premier plan qui semblent déranger,...).

Les jugements rendus à l’encontre de certains journaux obligent ces derniers à publier leur condamnation, essayer d’en retrouver certains et les termes du jugement.

8. La présomption d’innocence

Principe essentiel de la justice pénale, la présomption d’innocence protège les personnes mises en cause et qui ne sont pas encore jugée du "jugement médiatique".
Comment la Justice veille-t-elle au respect de ce principe ?
Jusqu’où peut aller la presse dans ses propos ?
Quelle est sa part de responsabilité ?

Repères
- Convention européenne des droits de l’homme : article 6-2 ;
- Loi du 15 juin renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes ;
- Code civil : article 9-1 ;
- Code de procédure pénale : article 11 ;
- Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : articles 32 et 35 ter.

Pistes pédagogiques

Etudier le reportage d’un fait divers à la TV :
- Découper plan par plan, décrire ou dessiner chacun d’eux.
- Noter les lieux, les personnages, l’ambiance créée par la musique...

Etudier les termes du commentaire, comment sont qualifiés les différents acteurs du fait ?

9. La protection des mineurs

Le droit français prévoit des règles spécifiques qui visent à protéger les mineurs. Quelles sont les règles qui leur sont applicables ? Comment la Justice protège-t-elle les mineurs face aux médias. Quelle est la pratique des journalistes lorsqu’ils couvrent les affaires impliquant des mineurs .

Repères
- Convention européenne des droits de l’homme : articles 8 et 10 ;
- Convention internationale des droits de l’enfant : articles 12,16,40 ;
- Code civil : article 9 ;
- Code pénal : articles 226-1, 226-2, 227-1, 227-2, 227-23 ;
- Loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse : articles 35 quater, 39 bis, 39 quinquies ;
- Ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs ayant commis une infraction : article 14 et 14-1 ;
- Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse : article 2.

Pistes pédagogiques

Pourquoi, à votre avis, le législateur a-t-il prévu de protéger davantage le mineur que le majeur ?
Réponses possibles : éviter qu’une histoire survenue à un enfant ou à un adolescent, qu’il soit victime ou délinquant, puisse peser sur son avenir, réduire ses chances de réinsertion ou l’empêcher, par la trop grande médiatisation de son affaire, de faire le travail psychologique et éducatif nécessaire pour s’en sortir.

10. La prison dans les médias

Aujourd’hui, la Presse parle beaucoup des prisons. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Pourquoi les prisons étaient-elles restées fermées aux médias ? Que cachent-elles ? Quelle image est véhiculée par la Presse ? Peut-elle tout dire sur les détenus ?

Repères
Code de procédure pénale : articles D.277 et D.444
Rapports : Hyest, Prisons, une humiliation pour la République, Sénat, 2000 ; Assemblée nationale, la France face à ses prisons 2000

Pistes pédagogiques

A partir des sites internet de presse retrouver les articles qui ces dernières années ont traité des prisons
- Quels sont les thèmes abordés ? A quelles dates ? A quelle occasion ?
- Qui parlent et pour dire quoi dans les médias et sous quelle forme ? S’agit-il d’interviews, de reportages... ? Quels sont ceux, parmi les acteurs de l’institution judiciaire et pénitentiaire, qui n’interviennent pas dans les débats ?